Figures de la parentalité dans la peinture occidentale et les arts visuels
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Saint-Christophe : La figure du passeur

La métamorphose du cynocéphale cannibale en porteur d'enfant

Jusepe de RIBERA, St Christopher, 1637, Musée du Prado, Madrid (voir le tableau en entier)

        Un de mes petits patients qui regardait cette représentation sur l'écran de mon ordinateur m'a demandé : "C'est son papa ?". 

    Étymologiquement, Christopher signifie "porteur de Christ". Ce Saint légendaire de l'Église, patron et protecteur des voyageurs, évoque le portage de l'enfant et la pulsion phorique (être porté), et ce qui plus est, par un homme, qu'on imagine bien volontiers être le père. Le portage paternel est différent du portage maternel. C'est un portage moins contenant, plus viril, qui rappelle la scène imaginaire de la reconnaissance de l'enfant, tenu sous les aisselles, élevé au dessus de l'assistance et présenté à tous. C'est donc un portage destiné à présenter l'enfant au monde. Mais c'est aussi un portage dont le dessein est de présenter le monde à l'enfant. Lui le plus petit de tous se retrouve ainsi sur les épaules de son père, accroché à sa tignasse, plus haut que tous, accédant à une vue panoramique du monde. C'est une des interprétations possibles de la présence du globe terrestre dans les mains de l'Enfant Jésus, perché et triomphant sur les épaules de Saint Christophe : un homme, immense et rassurant, grand voyageur, en témoigne son bâton de pèlerin, fait le récit de sa connaissance du monde à l'enfant, le tenant bien haut à l'abri des dangers, et lui ouvre les portes de la connaissance. Quelle scène touchante ! Ce "nouveau père" n'est en réalité qu'un ogre converti.

 Historiquement Saint Christophe, s'il a jamais existé, n'a jamais pu rencontrer le Christ. En effet, Saint Christophe, d'après la tradition, était  un cynocéphale (homme à la tête de chien) qui capturé au IIIième siècle par les Romains, se convertit et mourut héroïquement en défendant la population chrétienne de Rome persécutée par l'empereur Décius (249-250). La légende de Saint André rapporte qu'au Vième siècle il réussit à convertir, au confins de l'empire romain, un géant à tête de chien, cannibale de surcroît, le bien nommé "Abominable", qui devint son garde du corps. On retrouve dans ces deux légendes l'imaginaire des géants, ogres mangeurs d'enfants, bien proches de la figure de la paternité terrifiante qu'est Cronos, qui lui, avait quand même la délicatesse de ne manger que les siens. Le Père Fouettard doublure et accompagnateur du Père Noël ou de Saint Nicolas dans les légendes européennes doit aussi faire partie de la famille, tout comme le redoutable Croque-mitaine ou le Loup. La légende de la lycanthropie rejoint cet imaginaire de l'homme qui n'est jamais tout à fait à l'abri de se voir transformé en bête sauvage, dangereux pour ses semblables. L'actualité et la clinique nous le rappelle trop souvent.


Icône orthodoxe : Saint Christophe

 

       

Le Père Fouettard récompense les bons enfants qui "deviendront riches quand ils seront grands" et "emporte dans la tour au rat ceux qui ne veulent pas dire leurs prières".

Vignette extraite d'une planche de douze scènes.
Lithographie coloriée.
Imagerie française, Gangel, Metz


LE REDOUTABLE Mr CROQUE-MITAINE LA TERREUR DES PETITS MAUVAIS SUJETS. 
1ère moitié 19e siècle Paris ; musée national des Arts et Traditions Populaires


Une question subsiste : pourquoi Saint Christophe a t'il renoncé à la consommation des petits enfants ? 


MAZZUOLA Francesco,
Ecole lombarde, "La Vierge plaçant l'Enfant Jésus sur les épaules de Saint-Christophe"
Musée du Louvre, Département des Arts graphiques

    Cette représentation de la Vierge plaçant l'Enfant Jésus sur les épaules de Saint-Christophe, si elle est improbable pour des raisons de chronologie historique, n'en est pas moins touchante dans l'évolution de la conception de la paternité qui s'en dégage et apporte peut-être une réponse. Comment cette mère peut-elle faire confiance à cet ogre repenti ? Rhéa, femme de Cronos n'avait pas cette naïve confiance dans son époux, ce qui a sauvé Zeus. 

    Observons cette scène comme un tableau de famille et leurs regards réjouis. La mère regarde le père et ses yeux s'attendrissent, le père regarde l'enfant et l'accueille, l'enfant regarde le père et s'apprête à le chevaucher. Comme le titre de la gravure l'indique, c'est bien la mère, assez généreuse et sensuelle, qui présente cet enfant à son père et semble lui dire : je te confie le fruit de nos amours. Les nouveaux pères seraient-ils des ogres terrassés par l'amour ?

Références

RACINE Félix "L'histoire d'un saint à tête de chien" 

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