Les deux bambins sont dans
des postures inconfortables. Leurs yeux cherchent un appui inexistant.
Leurs bras battent dans le vide. Leurs corps glissent, leurs pieds
n'ont pas d'appui. Cherchent-ils le réconfort d'un portage plus
contenant ou cherchent-ils à s'échapper ? L'un, apeuré, semble
vouloir se dégager ; l'autre, surpris, tente de s'installer
mieux. A moins que ce ne soit l'inverse.
Leur mère, silencieuse,
les bâillonne en les serrant un peu trop, à la limite de l'étouffement. On ne sait si sa main
droite soutient ou retient celui qu'elle va sans doute frapper en
premier. Protège t'elle le second de voir ce qu'il va advenir de son
frère ou le retient-elle prisonnier de peur qu'il ne lui échappe ?
Médée,
répudiée, offre une tunique empoisonnée à sa rivale et se venge
de la trahison de Jason en tuant leurs deux enfants, Phérès et
Merméros :
" Mais ici je change de langage,
et je pleure sur ce qu'il nous faut accomplir ensuite. Car mes
enfants, le les tuerai ;
nul n'est en état de les y soustraire;
et après avoir ruiné toute la maison de Jason,
je sortirai du pays, chassée par le meurtre de mes enfants
bien-aimés,
et l'abominable forfait que j'aurai osé".
v 790-796
"Mon acte est résolu
: au plus vite tuer mes fils,
et m'éloigner du pays"
v 1236-1237
Cette
incongruité d'une mère mortifère est accentuée par la
générosité et le galbe de ses formes qui traduisent une nature
féconde mais qui est contredite par la poigne féroce avec laquelle
elle tient l'arme de sa vengeance. Bijoux et diadème, portés en
cet instant fatal, disent son dépit amoureux.
Ce
meurtre, de par sa dimension passionnelle, est un infanticide qu'on
peut classer du côté de la dévoration.
Ce n'est pas un sacrifice
rituel comme le sacrifice d'Isaac qui s'intègre dans la lignée des
infanticides coutumiers et ritualisés.
Eugène Delacroix mettra plus
de vingt ans à terminer ce tableau exposé au Louvre.