Figures de la parentalité dans la peinture occidentale et les arts visuels
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Moïse ou la première adoption internationale :
 les questions de la filiation et de l'affiliation

        Il est difficile de résister à la tentation d'une lecture moderne de l'histoire de Moïse. Elle résume et rassemble en quelques scènes les thèmes toujours actuels de la parentalité adoptive : l'abandon d'enfant, le recueil et l'adoption d'un enfant, la place de la famille nourricière, les liens du sang et les liens de l'affection, soit en d'autres termes les questions de la filiation et de l'affiliation, du côté de l'enfant, naturel, accueilli ou adopté et du côté des parents, de naissance, d'accueil ou adoptant.


Moïse est abandonné par ses parents


DELAROCHE Paul,
Ecole française, "Moïse mené au Nil par ses parents"

Exode chap I et II :
        Alors Pharaon donna cet ordre à tout son peuple : Vous jetterez dans le fleuve tout garçon qui naîtra, et vous laisserez vivre toutes les filles. Un homme de la maison de Lévi avait pris pour femme une fille de Lévi. Cette femme devint enceinte et enfanta un fils. Elle vit qu'il était beau, et elle le cacha pendant trois mois. Ne pouvant plus le cacher, elle prit une caisse de jonc, qu'elle enduisit de bitume et de poix ; elle y mit l'enfant, et le déposa parmi les roseaux, sur le bord du fleuve. La sœur de l'enfant se tint à quelque distance, pour savoir ce qui lui arriverait. La fille de Pharaon descendit au fleuve pour se baigner, et ses compagnes se promenèrent le long du fleuve. Elle aperçut la caisse au milieu des roseaux, et elle envoya sa servante pour la prendre. Elle l'ouvrit, et vit l'enfant : c'était un petit garçon qui pleurait. Elle en eut pitié, et elle dit : C'est un enfant des Hébreux ! Alors la sœur de l'enfant dit à la fille de Pharaon : Veux-tu que j'aille te chercher une nourrice parmi les femmes des Hébreux, pour allaiter cet enfant ? Va, lui répondit la fille de Pharaon. Et la jeune fille alla chercher la mère de l'enfant. La fille de Pharaon lui dit : Emporte cet enfant, et allaite-le-moi ; je te donnerai ton salaire. La femme prit l'enfant, et l'allaita. Quand il eut grandi, elle l'amena à la fille de Pharaon, et il fut pour elle comme un fils. Elle lui donna le nom de Moïse, car, dit-elle, je l'ai retiré des eaux.


Moïse est recueilli par la fille de Pharaon



Allegretto Francesco, (v 1615,v 1679) "
La découverte de Moïse par la fille de Pharaon"


 


CALANDRUCCI Giacinto, (1646,1707) "Moïse sauvé des eaux"


La fille de Pharaon présente Moïse à son père

 

 

Anonyme, école française, 17e siècle, "Moïse dans les bras de la fille de Pharaon, devant Pharaon"


Moïse fait sa colère et provoque le courroux du grand-prêtre

 

Anonyme, école italienne, vers 1600, 1625, "Moïse enfant, foulant du pied la couronne de Pharaon"

Dans cette scène, Pharaon et sa fille Thermeutis tentent de protéger de la mort le jeune Moïse en écartant le glaive que le grand prêtre lève sur l'enfant. Son courroux a été réveillé par l'attitude irrévérencieuse de Moïse, qui foule la couronne du roi d'Egypte à ses pieds.

 

GHERARDI Antonio (1638-1702), Attribué à
"Moïse enfant, foulant du pied la couronne de Pharaon"
Musée des Augustins, Toulouse

Flavius Josephe "Antiquités judaiques" livre 2 chapitre IX 7 (écrit en 94 de notre ère)

"Cet enfant si remarquable, Thermouthis l'adopte, le sort ne lui ayant pas donné de progéniture ; un jour, elle amène Moïse à son père pour le lui faire voir et, comme il se préoccupait de son successeur, la volonté de Dieu lui ayant refusé un fils légitime, elle lui dit : « J'ai élevé un enfant d'une beauté divine et d'un esprit généreux ; je l'ai reçu merveilleusement de la grâce d’un fleuve et j'ai songé à en faire mon fils et l'héritier de ta royauté ». Cela dit, elle met l'enfant entre les bras de son père ; celui-ci le prend, le presse avec bienveillance contre sa poitrine et, par amitié pour sa fille, lui met sur la tête son diadème ; mais Moïse jette le diadème à terre après l'avoir ôté de dessus sa tête par une espièglerie d’enfant et le foule même aux pieds. Et l'on voulut voir là un présage relatif à la royauté."

Cette scène, réécrite par Flavius Josephe à partir du Midrash Tanhouma, douze siècles environ après son déroulement supposé, est d'une justesse psychologique et d'une modernité qui peut étonner le lecteur, vingt siècles plus tard. La situation familiale est en elle-même très moderne mais détonne face à nos représentations de l'époque : une jeune femme célibataire adopte un enfant, étranger de surcroît,  vraisemblablement fils d'émigrés, contre la volonté de son père. Il est vrai que le statut de la femme en Égypte était alors enviable comparé aux autres civilisations antiques. Le deuxième élément remarquable est le débat contradictoire qui se déroule en réponse au geste de Moïse enfant qui jette à terre la couronne royale de son grand-père adoptif. La première interprétation, celle du grand-prêtre, est celle du refus de l'autorité, voire du signe prémonitoire de la rébellion future chez un si jeune enfant, auquel on peut associer le signe du refus de sa filiation adoptive : "Tu n'es pas mon père et tu n'as pas d'ordre à me donner". Face à des signes précoces de "délinquance infantile" : protéger ou punir ? Voilà un débat très moderne qui s'engage.
Mais la réponse de Pharaon et de sa fille est tout autre : il ne s'agit là que d'un quiproquo, ce n'est qu'une espièglerie d'enfant, face à laquelle il n'est nul besoin de s'attarder.  Il y a trente deux siècles de cela, nos anciens montraient une finesse d'analyse psychologique dont certains de nos contemporains pourraient utilement s'inspirer.



Jacques Stella (1596, 1657)
Moïse foulant aux pieds la couronne de Pharaon
Huile sur toile - 165 x 105 cm

Troyes, Musée des Beaux-Arts

 

 


REMBRANDT Harmensz van Rijn (1606,1669)  "Moïse enfant, foulant du pied la couronne de Pharaon"


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