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TRANSPLANTATION RENALE CHEZ L'ENFANT ET L'ADOLESCENT

ET PEDOPSYCHIATRIE DE LIAISON

  Ph. Duverger, A. Togora, A-S. Chocard, G. Tourbez, A. Ninus, J. Malka[1].  

Les transplantations rénales sont de plus en plus fréquentes et effectuées chez des enfants de plus en plus jeunes. Dans la majorité des cas, ces transplantations se déroulent sans problème somatique majeur (3).

Mais qu'en est-il du vécu psychique de ces enfants ? Comment cette transplantation rénale s'intègre t-elle dans le développement psychique ? Quelle place le corps greffé vient prendre dans la psyché de l'enfant ? Comment ces enfants font-ils pour vivre avec l'organe d'un autre ?

La transplantation rénale chez l’enfant et l’adolescent n’est-elle pas une situation typique de la rencontre entre le somatique et le psychique ? Entre le pédiatre et le psychiatre d’enfant ? Une situation caractéristique de la pédopsychiatrie de liaison.

 

TRANSPLANTATION ET AVENTURE PSYCHOLOGIQUE

            Les transplantations d'organes apparaissent comme l'une des avancées les plus spectaculaires et fascinantes de la médecine contemporaine. Les progrès de la science en ce domaine sont tels que certaines transplantations (notamment rénales) sont devenues "routine" pour les équipes… La médiatisation qui en est faite montre à quel point ces transplantations touchent la sensibilité de tout un chacun et déclenchent des émotions où s'entremêlent admiration, fascination et simultanément angoisse et horreur. Appel à l'imaginaire, constructions chimériques, aspects spectaculaires se retrouvent dans de nombreuses œuvres telles « Frankenstein » de Shelley ou « Et mon tout est un homme » de Boileau-Narcejac en littérature, « Le bras du démon » de Godart et Clavé en bande dessinée, « La 4ème main » dernier roman d'Irving, « L'intrus » essai philosophique de J-L Nancy ou bien encore «Tout sur ma mère» le film d’Almodovar et « Créance de sang » un des derniers romans policiers de Connelly mis à l'écran par Clint Eastwood…

Autant d'expression de cette problématique de transplantation d'organe, révélant que vivre avec l'organe d'un autre ne va pas de soi et que nous sommes toujours entre fiction et réalité.

Et comme souvent dans pareille situation, la réalité dépasse bien souvent la fiction et il s'agit chaque fois de penser l'impensable, de faire la part des choses entre réalité et représentations imaginaires, de mettre des mots sur des affects confus, angoissants, parfois culpabilisants ou bien encore déstructurants et dépersonnalisants, bref de « réussir à mener à bien un véritable travail psychique » (6). Ce travail psychique s'apparente à une aventure psychologique, avec tous ses aléas et concerne aussi bien le patient en attente de greffe que son entourage familial.

Si le vécu psychique de la transplantation est lié au type d’organe transplanté et à la symbolique qui s’y rattache, certaines problématiques semblent communes à l’ensemble des transplantations d’organes. Sont remises en question bon nombre de problématiques essentielles portant sur le sentiment d'identité, de filiation, la confrontation à la mort, le soi et le non-soi, le dedans et le dehors, l'intimité et l'autre, la propriété privée et le bien collectif, le sacré et le profane… L'image et les représentations du corps sont bousculées.

Parmi les transplantations, les greffes rénales sont parmi les plus fréquentes (plus de 100 par an en France) et sont devenues une intervention « banale » pour les équipes de néphrologie pédiatrique, ce d’autant que les enfants de moins de 15 ans sont prioritaires sur la liste d’attente.

A l'hôpital d'enfants, nos rencontres avec les enfants et adolescents en attente de transplantation rénale apparaissent comme des situations paradigmatiques de la pédopsychiatrie de liaison. L'accompagnement psychologique de ces enfants est en effet source de nombreuses questions qui font l'objet d'un travail de recherche dont nous exposons ici les hypothèses de travail.

HYPOTHESES DE RECHERCHE

Alors que les enjeux médico-techniques des transplantations d'organes sont de mieux en mieux connus et maîtrisés, on ne peut pas en dire autant des enjeux psychiques qui les accompagnent. De même, les quelques études portant sur le sujet s'intéressent plus au devenir des patients sur le plan socioprofessionnel, familial ou scolaire que sur les avatars intrapsychiques. « Ce constat est encore plus vrai en ce qui concerne les travaux sur l'enfant » (18). En France, depuis les travaux de G. Raimbault (14,15), peu d'auteurs se sont intéressés à ces questions. Citons entre autres : Danion-Grilliat (7,10), Gueniche (12) et Schwering (16,17,18).

Nos rencontres hebdomadaires auprès d'enfants en attente de transplantation rénale et d'enfants déjà greffés, nous ont amené à mettre en place un travail de recherche visant à mieux comprendre les processus psychiques mis en jeu dans le vécu d'une transplantation rénale.

Ainsi, nous terminons actuellement une étude, prospective, multicentrique (8 CHU français), incluant 40 enfants greffés rénaux âgés de 5 à 15 ans. Un groupe témoin a été constitué (enfants atteints de syndrome néphrotique). Nous avons rencontré les enfants à 3 reprises : au moment de leur inscription sur la liste d’attente de greffe (T1) puis 6 mois après la transplantation (T2) et enfin 18 mois après la transplantation (T3). Chaque rencontre comportait 2 parties : une évaluation psychométrique avec passation d’échelles d'anxiété (STAI), de dépression (CDI et CDRS-R), de fonctionnement global (CGAS) et de qualité de vie (AUQUEI) et un entretien clinique avec une approche psychopathologique (entretien clinique semi-structuré). Cette étude, débutée en 1999 se termine fin 2003. L’analyse des données est effectuée par l’équipe Script-Inserm (Lyon).

            Les objectifs de notre étude sont de deux ordres :

1° - Vérifier l'hypothèse de l'existence de troubles psychopathologiques de type anxiété et dépression et évaluer leur incidence et leur prévalence chez le jeune transplanté rénal :

- Montrer que la transplantation rénale majore significativement et durablement le niveau d'anxiété et de dépression.

- Mettre en évidence certaines spécificités de ces états dépressifs en relation avec la transplantation rénale.

- Rechercher et étudier les facteurs prédictifs de syndrome anxio-dépressif dans cette population d'enfants greffés.

2° - Analyser la qualité de vie de ces enfants transplantés rénaux.  

INSUFFISANCE RENALE ET MALADIE CHRONIQUE

a) Le vécu de la maladie chronique

Certaines problématiques psychiques secondaires à la maladie chronique sont mises en évidence. Il en est ainsi des sentiments d'injustice, des angoisses réactionnelles aux agressions, externes ou internes (actes thérapeutiques, effets secondaires des traitements, séparations multiples et répétées, douleurs somatiques, limitations des activités physiques, changements corporels), des blessures narcissiques, des sentiments de culpabilité, des mouvements d'agressivité, des phases régressives, de passivité, des moments dépressifs…

b) Un statut particulier

La maladie chronique confère un statut particulier à l'enfant: une privation partielle de liberté, des relations de dépendance à l'égard des équipes soignantes, des parents et de la famille. Les parents ont parfois des difficultés à trouver une distance "suffisamment bonne" avec leur jeune malade. Deux situations extrêmes sont fréquemment retrouvées:

- Surinvestissement centré sur la maladie, clé de voûte de l'édifice familial. Agressivité et culpabilité sont puissamment déniées et retournées en surprotection… Avec ses conséquences pour le jeune: renforcement des liens de dépendance, fantasme de réparation (certains parents allant jusqu'à assurer de véritables fonctions de soignants), impossibilité de faire un travail de deuil, incapacité à accepter une redistribution des rôles, court-circuitage des conflits normaux, conscients et inconscients, impossibilité de désengagement des liens Œdipiens et difficultés d'intégration du jeune auprès de ses pairs.

- Ignorance et fuite, témoins de la non acceptation parentale de la maladie, pouvant aller jusqu'à la dénégation. Cette non reconnaissance a parfois des conséquences pour les parents à type de désinvestissement affectif (rejet), de majoration des conflits, de l'agressivité, de failles narcissiques massives avec effondrement dépressif, de renvoi de culpabilité (confusion entre incompétence et impuissance), et parfois même de conflit dans le couple… Voire de divorce.

Les conséquences pour l'équilibre de la famille, pour le vécu de la fratrie et bien sûr pour l'avenir psychologique du jeune malade chronique sont bien sûr capitales.

c) Des mécanismes psychiques de défense face à l'angoisse que suscite la maladie chronique

La maladie est d'autant plus difficile à vivre qu'elle est difficile à penser. Ces mécanismes psychiques inconscients sont : la projection de l’agressivité (opposition, colère, révolte, impulsivité, rejet massif, voire crises d’agitation), le retournement contre soi de l’agressivité avec sa composante masochiste, le déni de la maladie avec ses conséquences sur l’observance et sur certains comportements (attitudes de prestance et de provocation), la pétrification de l’imaginaire, la soumission et l’inhibition avec passivité et perte d’autonomie, la régression avec des comportements de repli, l’identification à l’agresseur, l’obsessionnalisation avec des comportements ritualisés voire une agressivité tyrannique et des exigences insupportables, une désorganisation avec perte de cohérence interne ou enfin, dans le meilleur des cas, la sublimation et la collaboration aux soins.

Ces modalités d’expression, conscientes et inconscientes, sont passagères ou durables. Elles ne sont pas exclusives les unes des autres et se traduisent par des troubles bien connus des équipes soignantes :

-          Troubles du comportement, de l’agitation au repli et de l’agressivité à l’inhibition.

-          Troubles du sommeil et de l’appétit.

-          Troubles anxieux, anxiété généralisée et/ou attaques de panique.

-          Troubles dépressifs, majeurs ou non.

-          Appauvrissement relationnel, voire isolement affectif.

-          Retentissement scolaire.

S’y ajoutent les bénéfices secondaires à la maladie, où s’intriquent des enjeux mêlant des sentiments de faute/culpabilité et d’agression/punition.

Auparavant, ce vécu de la maladie s'installait progressivement chez l'enfant insuffisant rénal chronique qui passait le plus souvent par l’hémodialyse (ou la dialyse péritonéale), pendant plusieurs mois voire années. Dorénavant, la transplantation rénale est fréquemment indiquée en première intention, sans passage par la dialyse.

PROBLEMATIQUES SPECIFIQUES DE LA TRANSPLANTATION RENALE

Nous n’abordons pas ici la période d’attente du greffon, ni celle de la post-greffe immédiate. Si la vulnérabilité psychique est grande et si les implications émotionnelles sont multiples durant ces périodes, nous limiterons cependant notre propos aux problématiques psychiques de la transplantation rénale, une fois la phase aiguë passée.

De nombreuses questions se posent alors.

Comment la greffe peut-elle prendre ? Quelles modifications, voire perturbations, la transplantation rénale induit-elle sur le développement psychique de l’enfant ? Comment l’enfant ou l’adolescent, peut-il intégrer un corps lésé dans un investissement de sa personne qui ne soit pas lui aussi endommagé, à travers une image ou une estime de soi « lésée » ?

 

Les remaniements psychiques sont tantôt discrets et silencieux, tantôt visibles et bruyants. Nous pensons qu’ils sont sous-tendus à des problématiques spécifiques de la transplantation rénale, parfois envahissantes mais rarement verbalisées.

Il en est ainsi de :

-          Sentiments de déception et de désillusion

La transplantation rénale n’est pas une guérison. Elle est pourtant attendue et vécue comme telle, malgré les précisions et informations données par les médecins et infirmières. Ainsi, d’un point de vue psychopathologique, la transplantation rénale ravive parfois la maladie chronique ; elle réveille la chronicité, la réactive plus qu’elle ne la résout… Même s’il n’existe aucun signe de rejet d’un point de vue médical.

-          Confrontation à la mort

Les angoisse de mort sont fréquentes. Mort d’une fonction vitale, rénale, mais aussi mort évitée.

Toute transplantation rénale expose l’enfant à l’éventualité de sa propre mort. Cette confrontation à la mort est crainte et évitée par de nombreux mécanismes psychopathologiques et de conduites régressives.

La réalité de la transplantation rénale et de l’acte chirurgical réactualise fantasme et angoisse de castration, de morcellement. L’enfant se défend vis-à-vis de ses craintes de mutilation et de mort  par des mécanismes de dénégation.

D’autre part, la transplantation rénale est vécue comme un retour en puissance, celle d’un ressuscité, d’un revenant… Une renaissance, une résurrection et à un niveau surmoïque, une rédemption. Cette vision de renaissance consiste en elle-même en une nouvelle défense contre l’angoisse de mort où la greffe devient un moyen magique… Ces sentiments d’immortalité, ces fantasmes archaïques de toute puissance, voire des rêves de vie éternelle sont parfois à l’origine de comportement d’agitation et d’instabilité de type maniaque.

-          Processus de deuil

L’enfant doit faire le deuil d’une partie de lui-même devenue mauvaise (insuffisante, inefficace, malade voire hostile…) à laquelle vient se substituer une partie semblable et étrangère mais saine, l’organe du donneur.

Outre le deuil d’un corps entier, « complet », cette résurrection se fait grâce au cadavre. Quel effet déstabilisant, voire traumatique, peut avoir cette expression « rein de cadavre » sur l’imaginaire et les fantasmes de l’enfant greffé ? Sur son entourage ?

La transplantation expose aussi à l’idée de la mort du donneur : quelqu’un est mort pour que l’on puisse prélever son rein… Ou du moins s’est sacrifié s’il s’agit d’un donneur vivant. La question de la dette (à jamais laissée ouverte) est entière. De plus, il s’agit d’une mort attendue… et souhaitée. La liste d’attente est une liste où l’on attend la mort d’un autre… pour vivre. La culpabilité vient complexifier un processus de deuil souvent mal élaboré. Enfin, le donneur est inconnu du receveur, ce qui est source de tous les fantasmes et de questions sans réponses…

-          Mécanismes d’ « incorporation psychique » du greffon

Le mécanisme d’incorporation psychique du greffon (8,18) est d’autant plus marqué que l’enfant est grand et conscient que sa vie est reliée à la présence de ce « corps étranger ».

De plus, ce processus s’effectue différemment selon qu’il s’agit d’un « rein de cadavre » ou d’un rein de donneur vivant apparenté. Le processus d’incorporation psychique se fait de façon progressive et discontinue dans le schéma corporel. Il peut s’étendre sur de longues durées. Trois phases sont repérables (10) :

- une phase initiale : celle du corps étranger. L’organe transplanté est perçu comme rapporté au corps propre. Cela peut entraîner des angoisses persécutives ou une idéalisation du greffon vécu comme un objet précieux et fragile qu’il faut protéger;

- une seconde phase : celle de l’incorporation partielle;

- une troisième phase : celle de l’incorporation complète, caractérisée par l’acceptation du nouvel organe qui devient partie intégrante de l’enfant.

Ce travail psychique peut parfois être un échec.

Une autre question se pose à la suite de la greffe : « Va t-elle prendre ? »

Du côté de l’enfant, l’angoisse du rejet est toujours là, plus ou moins bien vécue. Si un rejet survient, de quel rejet s’agit-il ? Rejet immunologique ? Rejet psychologique ? S ‘il ne convient pas de départager ce qu’il en est de l’organique ou du psychologique, le rejet est vécu comme un échec où l’enfant s’y sent toujours pour quelque chose…

Enfin, l’identité sexuelle est parfois remise en question sur un plan imaginaire, avec le fantasme d’un donneur de sexe différent de soi…

-          Ambivalence à l’égard du greffon

Durant tout le travail d’incorporation psychique du greffon, oscillent des sentiments de méfiance voire de vécu persécutif, de mise à distance… Mais aussi une hyper-protection, une attention de tous les instants. Ces ressentis peuvent alterner et ne sont pas fixés. L’ambivalence est donc souvent présente autour de l’organe transplanté, simultanément bon et mauvais objet.

-          Blessures et failles narcissiques

La transplantation rénale confronte l’enfant à l’image traumatisée de son corps : corps et organe défaillants, corps insuffisant, corps mutilé (fistule artério-veineuse, cicatrices…), corps morcelé, corps greffé… Le corps est marqué de souffrances ; il stigmatise et rappelle à l’ordre quotidiennement ; il revoie à une réalité douloureuse.

Les agressions extérieures, d’autant que la transplantation rénale survient précocement, ne génèrent-elles pas une certaine fragilité psychique ?

Face à ces agressions, l’enfant est le plus souvent passif ; il subit et accepte en apparence plutôt bien les différents traitements et interventions chirurgicales. Peu de questions, peu de demandes émergent. Cependant, la ré-appropriation  et l’acceptation de ce corps transformé sont-elles aussi bien vécues ? Les modifications corporelles n’accentuent-elles pas la notion d’anormalité voire d’étrangeté ? Qu’en est-il des fantasmes d’identification à un inconnu « imagé » ?

Les problématiques narcissiques sont particulièrement mal vécues à l’adolescence (11), même si elles sont restées muettes pendant l’enfance. Les problèmes d’observance ne sont d’ailleurs sans doute pas étrangers à ces failles narcissiques de l’adolescent, à l’égard de son corps…

Enfin, les effets secondaires des traitements immunosuppresseurs (hirsutisme, obésité, aspect cushingoïde…) associés à la petit taille due à l’insuffisance rénale rajoutent au sentiment du jeune d’être dépossédé de son corps ou du moins d’une partie de son corps.

La transplantation rénale impose un travail de reconquête de soi.

-          Angoisse et culpabilité

L’angoisse et la culpabilité majorent parfois les difficultés précédentes. Angoisse de mort, angoisse de séparation, angoisse du rejet, angoisse corporelle, angoisse de castration, deuil et culpabilité peuvent entraver le développement psychique de l’enfant transplanté rénal. Ces angoisses favorisent des mécanismes de refoulement parfois massifs avec inhibition et répression inconsciente de fantasmes angoissants. La spontanéité et les capacités d’expression apparaissent parfois muselées, les capacités d’engagement et de créativité semblent diminuées, l’agressivité aggravée. Ainsi, certains enfants greffés présentent un caractère essentiellement défensif, voire hyper-défensif, appauvri et rigidifié. Un des risques majeurs est la solitude de l’enfant.

Les difficultés d’expression de l’enfant vis-à-vis de son greffon sont fréquentes comme si l’enfant ne devait plus avoir de raison de se plaindre… ne pouvant s’autoriser à en parler.

-          Dépendance affective et difficulté d’autonomisation

Les répercussions psychologiques de la transplantation rénale sont bien sûr vécues différemment par l’enfant en fonction des réactions et attitudes parentales, conscientes et inconscientes.

Après la transplantation, certains enfants (particulièrement ceux passés en dialyse) évoquent un sentiment de lâchage de l’équipe soignante. Ils présentent des difficultés d’insertion et/ou de réintégration auprès des pairs. Une plus grande liberté, une autonomie relative sont parfois plus difficiles à gérer qu’une dépendance importante à l’égard de l’entourage, tant familial que médical.

Les transplantations rénales chez l’enfant et l’adolescent sont des situations à haut risque anxio-dépressif. Au-delà du vécu de la maladie chronique, l’expérience subjective de la transplantation rénale apparaît comme un paradigme qui met à l’épreuve les questions indissociables de l’identité et du changement. Il s’agit là d’une histoire singulière, d’une aventure psychologique.

Ici, le soin du corps ne suffit pas toujours.

Le travail clinique et de soins de pédopsychiatrie de liaison prend tout son sens.

Nous insistons sur la nécessité de repérer ces problématiques, d’accompagner ces enfants transplantés et leur famille, et, peut­ être, de ce fait, de limiter certains rejets (psychiques) voire des complications, psychologiques ou psychiatriques, tels des troubles anxieux majeurs, des troubles de l’humeur, des décompensations psychiques, psychotiques ou non.

L'enjeu est aussi d'éviter que pour certains enfants, la transplantation rénale ne devienne une deuxième maladie chronique.

C’est dans ce contexte que nous avons mis en place un travail de recherche visant à mieux préciser les problématiques présentées ici et à vérifier nos hypothèses de recherche. Au cours de chaque rencontre avec les enfants greffés et leurs parents, outre la passation des échelles (anxiété, dépression et qualité de vie), dix points ont été systématiquement abordés et évalués:

- Du côté de l'enfant : le vécu de l'enfant vis-à-vis de sa greffe, la problématique de deuil, le vécu du greffon (corps étranger intra-corporel), les capacités et les modalités d'expression de l'enfant vis-à-vis de sa greffe, l'attention de l'enfant vis-à-vis de sa greffe, les défenses psychiques de l'enfant, les modifications des liens et des relations avec l'entourage, le vécu des effets secondaires des traitements.

- Du côté des parents : le vécu de la greffe (quelle que soit l'origine du greffon), les modifications de leur regard sur leur enfant, après la greffe.

L'objectif de cette recherche est donc de mettre en évidence l'existence de certaines difficultés psychologiques, parfois masquées. Une meilleure connaissance de ces troubles permettrait alors un dépistage précoce (avant la transplantation) et la mise en place d'accompagnements psychologiques, tant auprès de l'enfant que de ses parents. Ces résultats seront publiés prochainement.

Enfin, soulignons que ces résultats et ce matériel ne sauraient être isolés du dialogue et de la rencontre dans lesquels ils s'insèrent. En effet, l'enfant malade et sa famille sont à entendre dans leur singularité. Les entretiens cliniques avec ces enfants et leurs parents, fruits de nos rencontres, seront eux aussi retranscrits - en tant que discours de sujets pris, comme tout sujet, dans un discours inconscient qui détermine ce qu'il en est de leurs réponses, de leurs affects, de leurs conduites.

Le travail clinique et ces travaux de recherche sont l'illustration de la rencontre entre le psychiatre d'enfant et l'équipe de néphrologie pédiatrique et de cette activité particulière qu'est la pédopsychiatrie de liaison.

Remerciements aux équipes de néphrologie pédiatrique des C.H.U. participant à la Recherche (PHRC, 1998) : Angers, Lille, Lyon, Nantes, Paris-R. Debré, Paris-Necker, Paris-Trousseau et Tours et à l'équipe SCRIPT-INSERM (Lyon).

Bibliographie

 

1 - Alby N, Baudin M. Conséquences psychologiques des transplantations d'organes. La Revue du

Praticien, 1994, 44, 4, 493-495.

2 - Anzieu D. Le Moi-Peau, Paris, Dunod, 1985.

3 - Broyer M, Gagnadoux M-F., Guest G., Busson M., Beurton D. Résultats de 310 transplantations

de reins de cadavre chez l'enfant et l'adolescent. Arch. Franç. de Pédiatrie,1985, 42, 237-243.

4 - Bayle O., Pucheu S. Transplantation rénale et délire de persécution: stratégie de soins et

compromis thérapeutiques. Revue Française de Psychiatrie et de Psychologie Méd., 1997, 12, 52-54.

5 - Carvais R., Sasportes M. (sous la dir. de) La greffe humaine. Paris, PUF, 2000, 1000 p.

6 - Consoli S., Baudin M-L. Vivre avec l'organe d'un autre: fictions, fantasmes et réalités.

Psychologie Médicale, 26, 2, 102-110.

7 - Consoli S., Danion-Grilliat A. Troubles de l'identité et transplantations d'organe. Confrontation

Psychiatrique, 1998, 39, 327-358.

8 - Crombez J-C., Lefebvre P. La fantasmatique des gréffés rénaux. Revue française de

Psychanalyse, 1-2, 95-107.

9 - Cupa D. (sous la dir. de) Psychologie en néphrologie. Ed. Médicales et Scientifiques, Paris, 2002.

10 - Danion-Grilliat A. Aspects psychiques des prélèvements et des transplantations d'organes.

Psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent - Collège National des Universitaire de Psychiatrie. Paris, In Press, 2000, 217-227.

11 - Duverger Ph. Corps et sexualité chez l'adolescent greffé rénal. Actes de l'APNP, 1999, 4 p.

12 - Gueniche K. L'énigme de la greffe - Le Je, de l'hôte à l'autre. Paris, L'Harmattan, Etudes

psychanalytiques, 2000.

13 - Pucheu S. Le psychothérapeute confronté à l'aventure de la greffe d'organe. L'Information

Psychiatrique, 1998, 3, 74, 255-262.

14 - Raimbault G. Problèmes psychologiques autour de l'enfant atteint de néphropathie chronique.

Actual. Néphrol. Hôp. Necker. Paris, Flammarion, 1969, 215-227.

15 - Raimbault G. Morceau de corps en transit. Terrain, 1992, 18, 15-25.

16 - Schwering K-L. L'incorporation psychique du greffon chez l'enfant transplanté. Pédiatrie et

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17 - Schwering K-L. L'inquétante étrangeté de la transplantation d'organes, Clinique Méditér., Erès,

2000, 61, 47-62.

18 - Schwering K-L. Le traitement psychique de l'organe transplanté: ingestion, incorporation,

sexualisation. Psychaitrie de l'enfant, 2001, XLIV, 1, 127-167.



[1]  Unité de Psychiatrie de l'Enfant et de l'Adolescent - CHU d'Angers.