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Prescription et observance chez l'enfant et l'adolescent.
Point de vue du psychiatre

Ph. Duverger, J. Malka, A. Ninus

 

            Les démarches médicales s’articulent le plus souvent autour de la prescription médicamenteuse, principe thérapeutique dont le but, dans le meilleur des cas, serait la restitution de la-dite bonne santé. A la question du patient qui souffre, l’ordonnance est une réponse ; réponse qui soulève à son tour des questions et nous incite à réfléchir quant à sa fonction et sa valeur, particulièrement chez l’enfant et l’adolescent. Qu'elle place prend le médicament pour le jeune ?

            Corollaire de la prescription, l’observance est parfois problématique. Quelles significations peuvent avoir certains comportements de jeunes face à leur traitement ? Quelle place pour les parents dans la prescription à l’enfant ? Ces questions sont complexes et le prescripteur fait parfois appel au psychiatre.

            Quand est-il alors du psychiatre d’enfants face à ces questions ? Face aussi à ses propres prescriptions ? Quand est-il aujourd’hui, en France, des modalités de prescription des psychotropes chez l’enfant et l’adolescent ?

            C’est de notre place d’équipe de psychiatres et psychologues pour enfants et adolescents, invités à travailler au sein d’un Département de Pédiatrie d’un CHU que nous proposons quelques pistes de réflexion.

 

PRESCRIPTION ET SUBJECTIVITE DU MEDECIN

            De la "potion magique d’antan", singulière et personnifiée, il est question à l’heure actuelle de consultations hyper-spécialisées d’une sophistication telle que le sujet disparaît derrière un arsenal diagnostique et thérapeutique. Le médecin y perd l’assurance de son acte, mais aussi une confiance dans un savoir qui lui échappe… Or, la prescription fait d’autant plus mouche que le médecin y est impliqué. Ainsi, plus la médecine se développe, plus les prescriptions se multiplient et plus le médecin recule… Moins il est à l’aise dans une relation soignante tiraillée et bancale.

            Le médecin n’a plus l’image d’un savoir et doit faire appel à d’autres collègues… Mais déléguer ainsi le savoir, c’est renvoyer au patient la question : qui croire ? Un corollaire immédiat est que de plus en plus, le patient n’est plus considéré comme un sujet mais comme une maladie, un organe que la prescription cherche à cibler, à modifier (avec toujours plus de précisions). Cette simplification du malade à la maladie ou à un fragment de corps ne peut aboutir qu’à un malentendu et à une efficacité parfois aléatoire de certaines prescriptions.

Un autre corollaire de cette évolution est la qualité de l’observance. Evoquer l’observance, c’est mettre en avant l’importance de l’acte de prescription et la subjectivité du médecin. Le prescripteur est celui qui fait lien entre un diagnostic de départ et une substance proposée (ceci est d’autant plus important qu’il s’agit d’une pathologie chronique). Le fait de prescrire, de rédiger et signer l’ordonnance, quel que soit son contenu, renvoie à la maladie, l’authentifie en quelque sorte, l’assermente, la confirme. Implicitement, elle positionne le patient sur un "être malade".

De même, le choix d’une prescription introduit toute une série d’éléments subjectifs dont le prescripteur est le vecteur. Une prescription est donc toujours ramenée à son prescripteur et à la question sous jacente de son désir… Qu’est que veut ce prescripteur ?…

A un degré de plus, nous pensons que ce qui importe, c’est ce que le patient, quel que soit son âge, va projeter sur ce prescripteur, en fonction de sa problématique. Ce qui pourrait se résumer par : "qu’est ce qu’il me veut ?"

            Effets de mode, effets placebo, effets d’anathème, effets nocebo… Mais aussi effets de la prescription, surchargée par les multiples dimensions subjectives, conscientes et inconscientes du prescripteur. Ceci est d’autant plus important qu’il s’agit d’un adolescent dont le corps se transforme et inquiète, dont le corps trahit, dans le contexte de pulsions réactivées, vécues à la fois comme tentantes et dangereuses. La prescription vient exacerber des questions telles que: "Suis-je normal ?", "Suis-je comme les autres ?"

 

Chez l’enfant et parfois l’adolescent, la place des parents dans une prescription est bien sûr, elle aussi, très importante. Qui demande quoi ? Qu’est ce que chacun, du médecin, de l’enfant et de ses parents, attend de l’autre ? Si la question paraît plutôt vite résolue lors d’une otite ou d’une rhinopharyngite, le problème semble beaucoup plus complexe devant une instabilité psychomotrice ou un trouble du sommeil…

 

OBSERVANCE ET ALLIANCE THERAPEUTIQUE

 

Le médicament n’est jamais accepté de façon durable ; il soulage un temps à l’image d’une béquille mais le patient semble mal supporter une quelconque modification de son rapport à sa souffrance… Ce n’est pas nouveau !

L’observance est une problématique aussi ancienne que la Médecine elle-même… Déjà, Hippocrate remarquait que : "le médecin doit savoir que les patients mentent souvent lorsqu’ils disent suivre leurs traitements" (Alvin, 1997).

C’est surtout à partir des années 70 que la réflexion scientifique, pédiatrique et pédopsychiatrique, s’est développée à ce sujet. Malgré tous les travaux, cette question reste, aujourd’hui encore, un thème difficile à aborder. Les regards portés sur l’observance vont tous dans le même sens :

"Perte de liberté" (Schmitt, 1990), "Phénomène complexe et difficile à prévoir" (Michaud, 1991), "Question potentiellement subversive" (Wright, 1993), "Vérité pénible à dire ou difficile à entendre", "Sujet embarrassant" (Alvin, 1997), "Entre soumission et révolte" (Marcelli, 1997), "Roulette russe" (Marcelli, 1998), "Mauvais malade, mauvaise conscience" (Consoli, 1998), "Lapin de garenne le jour de l’ouverture de la chasse" (un patient, 1999).

Sujet tabou ? Déni ? Sentiment d’échec ? Silence ? Incompréhension ? Danger ? L'observance paraît se situer entre "Subversion du sujet et dialectique du Désir" (Lacan, 1966).

Tout soignant est confronté à cette question de l’observance, phénomène trans-nosographique, multivarié et polyfactoriel.

Et pour ne pas se cantonner aux champs de la médecine et de la psychiatrie, complétons ce bref survol bibliographique par une référence littéraire pour le moins instructive : "La pitié dangereuse" (Sweig, 1939).

Difficile à saisir, la définition de l’observance reste large: "degré de concordance entre le comportement d’un individu – en terme de prise médicamenteuse, suivi de régime ou de style de vie – et la prescription médicale" (Haynes, 1973). L’observance est complexe et se décline de multiples façons, depuis la fidélité exemplaire au refus complet. Elle apparaît comme un reflet du vécu existentiel de la maladie.

            Le terme anglo-saxon est compliance… Ce qui n’est pas loin de la complaisance, avec toute la dimension affective que cela comporte… Désir de plaire et soumission ne sont pas loin…

            Notons au passage que l’alliance thérapeutique du jeune doit être différenciée de l’observance. Un enfant ou un adolescent peut entretenir une très bonne relation thérapeutique mais s’avérer incapable de respecter les prescriptions (rendez-vous, régimes, traitements…) et à l’opposé, un autre peut respecter une très bonne observance mais sans alliance thérapeutique. De même, la non-observance "ordinaire" doit être distinguée des comportements de rupture voire d’attaque du corps.

Enfin, aucune analyse de l’observance n’est valide si elle n’aborde pas la place des parents. En effet, les conduites de rupture de traitement s’observent d’autant plus que le contexte familial n’est pas contenant… Il s’agit là d’une autre alliance thérapeutique, celle des parents, que le médecin devra prendre en compte.

 

STATUT DU MEDICAMENT ET ELEMENT DE LANGAGE

 

Statut du médicament

Dans la prescription, le médicament peut revêtir plusieurs statuts (Basquin, 1997) que nous ne ferons qu’énumérer :

· Celui, en premier lieu, d’objet transitionnel. Il est en position tierce dans la relation et vient comme représentant de la perturbation biologique ou du conflit caché. Il donne à voir ce qui est dissimulé, dans le corps ou dans la pensée.

· Il est aussi support de projection d’un interne inaccepté, objet sur lequel vont se focaliser et se projeter les affects et les conflits.  En situation d’insupportable, le jeune va s’en prendre à cet objet, le médicament.

· C’est aussi un représentant symbolique du thérapeute et des relations entretenues avec lui et donc de la charge d’attente qui s’attache à lui. En ce sens, l’attitude face au médicament est l’expression d’une manifestation de la relation,  transférentielle.

· Le médicament touche au Réel du corps, indicible et parfois insupportable. Il franchit la barrière de la limite corporelle et s’affronte à ce qui est mauvais dans le corps. Il témoigne en cela de la maladie.

· C’est aussi parfois un objet de jouissance. Alors, le médicament est soumis à des manipulations de type pervers. Scénarios sadiques ou masochistes, rituels rigides, en sont des exemples.

· Objet contra-phobique enfin. Tant pour le médecin, plus ou moins rassuré, qui prescrit avec l’idée entretenue d’avoir fait quelque chose que pour le jeune et le plus souvent sa famille. Certaines classes de médicaments (veinotoniques…) reposent plus sur l’empirisme que sur de réelles données scientifiques. Ainsi beaucoup de médicaments sont investis de fonctions thérapeutiques qui s’attachent plus à des croyances qu’à des réalités.  

Elément de langage

La maladie, le médicament, sont de nouveaux signifiants injectés dans le discours familial. Comme tout signifiant, ils renvoient à des représentations, représentations imaginaires de la maladie, elles-mêmes représentations imaginaires du corps dont le fonctionnement (ou la géographie) est parfois lointain(e) de ce que nous avons appris et qui nous font sourire. A titre d’exemple : le classique "infractus" ou bien encore, dans la bouche de cette adolescente parlant de sa maladie comme d’un "lupus énigmateux dissimulé !". Ou cet autre adolescent épileptique précisant qu’il avait bien pris "sa dékapine !".

En ce sens, le médicament est un élément de langage, une réponse à un discours (celui de la médecine, de la science). L’ordonnance voudrait d’ailleurs conférer à ce discours un ton impératif: j’ordonne !…

Le médicament est un élément de négociation, de communication. Dans cet échange, Il est parfois aussi un élément d’opposition de logiques (logique médicale – logique de l’enfant) d’opposition de savoirs (savoir scientifique – savoir du sujet). C’est le cas de ces adolescents insuffisants rénaux greffés que nous avons rencontrés. Après une dizaine d’années de greffe, de traitement anti-rejet, même quand biologiquement tout s’est bien passé et lorsqu’il est question d’une nouvelle greffe rénale, c’est le refus ! Ils préfèrent la dialyse ! Autre logique… Autre savoir…Autre discours… Ces adolescents nous rappellent ici que la logique du sujet n’est pas toujours d’aller dans le sens du bien!

Ainsi, prendre ou ne pas prendre son médicament (ou ne prendre qu’une partie de son traitement), c’est vouloir dire quelque chose. C’est signifier quelque chose au médecin… Et à soi-même.

Ici, l’observance est considérée comme le résultat d’un compromis; compromis entre savoir et ignorance, entre soumission et déni. Quand l’adolescent "triche", c’est un refus de savoir… "Il triche comme s’il ne savait pas" (Marcelli, 1997).

La conduite d’un traitement devra prendre en compte ces remarques qui, si elles ne garantissent en rien une meilleure observance, permettent cependant d’avancer dans la compréhension de ce qui se joue dans la relation avec le jeune (et sa famille).

 

ET LES PSYCHOTROPES ?

 

Pendant bien longtemps, les psychiatres d’enfants mettaient en avant leurs réticences voire leurs résistances à prescrire des psychotropes. Ces positions étaient confortées par le peu de médications à visée psychique ayant une AMM (Autorisation de Mise sur le Marché) pour les moins de 15 ans. Préjugés négatifs ? Principe de précaution ? A priori ? Craintes des effets secondaires à un moment clé du développement ? Craintes de dépendances psychiques ou physiques ? Options théoriques et références psychanalytiques ? Considérations éthiques ? Inquiétudes quant aux éventuels abus et « dérapages » ?…

La particularité des psychotropes semble venir du fait que leur cible est de l’ordre de la pensée, de l’intimité de l’être… Qu’ils toucheraient à l’indicible, qu’ils viseraient la subjectivité.

Ces prescriptions soulèvent donc des questions à plusieurs niveaux.

Du côté de l’enfant et plus encore de l’adolescent, la prise d’un médicament qui serait sensé changer le cours de la pensée ou modifier les émotions n’est pas sans inquiétude. Le plus souvent, le jeune ne demande rien…

Du côté des parents, la demande d’un médicament pour modifier le comportement de leur enfant ou les attitudes de leur adolescent, pose question. Que signifie l’attente, plus ou moins miraculeuse, d’un médicament qui ferait faire les devoirs à la maison, qui rendrait toujours joyeux, qui rendrait sage ou qui ferait dormir ?

Et du côté des psychiatres d’enfants, qu’en est-il des prescriptions de psychotropes ?

En mai 2000, paraît un article retentissant sous la forme d’un impératif : « Ne bourrez pas les enfants de psychotropes ! » (Bursztejn & coll., 2000). Article qui n’a rien d’une ordonnance mais se veut un cri d’alarme. Il reprend notamment une récente enquête américaine décrivant la dérive des prescriptions de psychotropes aux enfants : prescriptions triplées entre 1991 et 1995. Il dénonce la mauvaise influence du modèle américain en France et se termine par un positionnement clair :

-                     Les enfants méritent mieux qu’une approche seulement médicamenteuse de leurs troubles et de leurs difficultés psychiques

-                     Le réductionnisme opératoire des prescriptions médicamenteuses n’est en rien un progrès de la pensée et de la qualité des soins.

-                     Les développements de la psychiatrie du bébé et de la psychiatrie périnatale nous incitent à une particulière vigilance quant à l’utilisation des chimiothérapies.

-                     Les enfants et leurs familles ont droit à une approche pluridimensionnelle des troubles psychiques. La prescription de psychotropes peut y trouver sa place mais une place non exclusive, prudente, modérée et qui soit clairement inscrite dans un projet de soins, global et cohérent.

Simultanément, parait en mars 2000, une enquête nationale portant sur les habitudes de prescription de 733 psychiatres d’enfants, en France (Thévenot & coll.,2000). Cette enquête souligne 2 manques fondamentaux :

-                     Le peu d'études et le manque de données épidémiologiques concernant les prescriptions de psychotropes chez l’enfant;

-                     Le manque de formation des psychiatres d’enfants dans ce domaine.

Elle confirme certains comportements paradoxaux des prescripteurs :

-                     Prescriptions privilégiées de molécules anciennes, malgré leurs effets secondaires plus délétères qu'avec les nouvelles molécules.

-                     Prescriptions empiriques, le plus souvent.

-                     Prescriptions dans des pathologies où ont eu lieu le moins d’études et réticence de prescriptions dans des domaines très explorés.

Le problème fondamental reste donc celui du sens du symptôme de l'enfant. Et la prescription ne peut s ‘appuyer sur la seule considération symptomatique mais impose un véritable diagnostic clinique, avec évaluation précise de la situation psychique, cognitive, relationnelle et affective du jeune patient.

 

            Ainsi, toute prescription de psychotrope à un enfant ou à un adolescent, outre les précautions d'emploi et les contre indications, soulève les problématiques suivantes :

-                     Risque d’occultation des problèmes intra-psychiques avec soumission à la solution médicamenteuse.

-                     Accentuation de la relation de dépendance psychique du jeune.

-                     Mise en évidence de son incapacité interne à trouver des solutions, à mobiliser ses ressources pour surmonter des difficultés.

-                     Sentiment de n’avoir pas été compris dans l’origine psychique de sa souffrance.

-                     Interférences avec les modifications pubertaires.

-                     Démission de la famille ; le psychotrope se substituant à l’abord et la résolution des conflits intra familiaux.

 

VALEURS PSYCHOPATHOLOGIQUES DE LA NON-OBSERVANCE

 

Les réticences initiales d’un enfant ou un adolescent à une bonne observance sont normales. Elles s’inscrivent dans une dimension interactive et intra-psychique. "Un adolescent n’aime pas se soumettre. A tout prendre, il préfère se démettre…" (Marcelli, 1990). Nous pensons que la non-observance est un comportement "normal", sous réserve que l’essentiel des soins est préservé.

Cette non-observance peut avoir plusieurs fonctions:

· Celle d’une tentative, certes maladroite, de prise de distance par rapport aux parents, au médecin, au corps malade.

· L’essai de ré-appropriation du corps; un corps malade parfois envahi par les soins médicaux.

· La recherche d’un espace de liberté, si importante à l’adolescence… Même s’ils montrent là que la liberté, c’est sans doute ce qu’il y a de plus difficile à gérer.

· Une fonction de lien où le jeune, par sa non-observance, se rappelle à notre bon souvenir voire, à un degré de plus, nous « prend la tête »…et empêche tout relâchement du lien, tout espacement des consultations. Alors il s’agit d’une fonction d’emprise sur le thérapeute, sur les parents.

La réponse à une pulsion.

· L’appel à l’intérêt de l’autre, mais d’un intérêt respectueux de l’évolution affective ("Je ne suis plus un bébé"), du souci d’affirmation, des remaniements psychiques internes, des suscitations nouvelles, du sens que prend le symptôme.

De même, sont repérables certaines significations de la sur-observance : soumission trop grande, quête incessante d’ascétisme (Alvin et Marcelli, 2000). Parfois, c’est une hyper intellectualisation avec aspect de trop sérieux qui vient signer des modalités de défense contre l’angoisse. Probablement que si les dangers de la non-observance sont faciles à prévoir, ceux de la sur-observance sont tout aussi problématiques, d’un point de vue psychique, avec parfois des adolescences qui ne se font pas.

La question du désir (de l’Autre) / Le besoin et la demande

La vraie question du désir pourrait être celle du bonheur ; elle viserait profondément une maîtrise idéale de notre existence qui nous conduirait hors de la vallée des larmes, de ce monde-ci où tout n’est qu’illusion, et parfois souffrance… A l’adolescence, cette quête est vivace, ardente… Le désir est brûlant…

La maladie (particulièrement si elle est chronique) vient enrayer cette quête du bonheur ; elle vient à contresens de l’épanouissement et de cette illusion d'une liberté nouvelle…

Alors, qu’en est-il alors du désir ?

"Le désir, disait Lacan, est la métonymie de l'être".

Pour mieux percevoir ce dont il s'agit, nous pouvons peut être nous servir de quelques métaphores. Prenons par exemple celle de la ceinture de sécurité; obligation légale, "prescrite"… pour notre bien ! Qu'en est-il dans la réalité de notre quotidien ? De même pour les limitations de vitesse… Nous connaissons les dangers et les risques de ne pas suivre la règle !…Mais qu'en est-il pour tout un chacun dans la réalité de tous les jours ?

La prescription médicale (médicaments, régimes…) se complique de la relation inter humaine et pour analyser cette question du désir, il convient de la mettre en articulation avec le besoin et la demande.

Que l’on ait besoin d’un traitement et que l’on sache la nécessité de ce traitement… Cela est bien… Mais qu'en est-il de notre attitude face au médicament ? La question centrale est-elle celle du médicament ? N’y a t-il pas derrière la question du traitement et du médicament, une autre question qui serait : qu’attend-t-il de moi ? Et le corollaire : qu’est ce je suis prêt à donner ?

Il existe toujours un écart, une faille entre la demande et le désir.

Le désir ne provient pas du besoin (manque objectif) ni de la demande (expression langagière), mais prend place entre eux. En demandant à l’Autre de combler ce qu’il n’a pas, le sujet fait l’expérience qu’il est en défaut et qu’il ne réclame pas l’objet mais l’amour, c’est à dire la possibilité de combler le besoin sans pour autant s’aliéner totalement dans la dépendance de l’Autre.

Ainsi, le besoin vise un objet spécifique et s’en satisfait. La demande est formulée et s’adresse à autrui ; si elle porte encore sur un objet, celui-ci est pour elle inessentiel, la demande articulée étant, en son fond, demande d’amour. Et le désir ? Il naîtrait de l’écart entre le besoin et la demande ; il est irréductible au besoin, car il n’est pas dans son principe relation à un objet réel, indépendant du sujet, mais au fantasme ; il est irréductible à la demande, en tant qu’il cherche à s’imposer sans tenir compte du langage et de l’inconscient de l’autre, et exige d’être reconnu absolument par lui.

Cela explique pourquoi nombre de sujets demandent des traitements, nous disent les prendre mais que la vérité est toute autre (au grand drame du médecin). Avoir envie de bien faire ne garantit en rien ce qu’il en est de son désir (tant du côté du jeune que du médecin). Le désir est irrationnel ; parfois, il fait désordre ! (Cela n'empêche pas qu'il puisse se travailler…)

Et en pratique, si le médecin, qui a ses idées sur les besoins de l’enfant ou de l’adolescent, s’en mêle et, à la place de ce qu’il n’a pas, le gave de la bouillie étouffante de ce qu’il a, c’est dire qu’il confond ses soins avec le don de son amour. C’est l’enfant que l’on nourrit avec le plus grand amour qui refuse la nourriture et joue de son refus comme d’un désir (anorexie mentale). Confins où l’on saisit comme nulle part que la haine rend la monnaie de l’amour, mais où c’est l’ignorance qui n’est pas pardonnée… Autrement dit, le mieux à tout prix peut se révéler être l’ennemi du bien.

Le rapport au savoir / Les croyances et les attentes

Le médecin est dans une position de savoir ce qui est bon pour son patient. Savoir universitaire, expérience clinique… De sa place, le médecin sait, explique, éduque, renseigne, voire ordonne.

Le savoir de l’enfant est tout autre. Même une bonne connaissance de sa maladie n’est pas synonyme de bonne observance. Et pour certains, c’est parfois le désir de n’en rien savoir… Le résultat, c’est le quiproquo, l’oubli, l’erreur… Et parfois, la non-observance.

Les croyances et les attentes de l’un ne sont pas superposables à celles de l’autre.  Sans doute faut-il aborder ces questions ensemble avec l’espoir de créer un véritable espace d’authenticité et de réciprocité dans la relation de soins, une écoute, un espace de choix, de droit à l’erreur. La non observance est un phénomène partagé entre le jeune patient et le médecin.

Partagé aussi avec les parents du jeune. Les attentes des parents ne sont pas des plus simples à gérer. Teintées d’angoisse et mêlées de croyances, les demandes parentales sont souvent pressantes et dans certaines occasions vont jusqu’à étouffer leur rejeton et influencer le médecin.

La place du médecin s’en trouve encore plus complexe. C’est alors une raison de l’appel au psychiatre.

 

UNE PLACE POUR LE PSYCHIATRE ?

 

Dans le contexte de la maladie chronique, le psychiatre est souvent appelé quand ça va mal… Et par exemple quand l’adolescent ne prend plus son traitement… Quand il échappe. Est-ce pour autant le meilleur moment pour solliciter une "consultation psy." ? N’y aurait-il pas intérêt à proposer une rencontre, un premier lien au cours des mois suivant la découverte de la maladie et alors à situer le psychiatre comme une offre, une possibilité plutôt que comme un pompier chargé d’éteindre le feu ?

Le psychiatre ne doit pas devenir une contrainte supplémentaire pour le jeune, car alors, aucun travail n’est possible. La consultation psy. ne doit pas être demandée comme on demande une glycémie !

Pour le psychiatre (dans la situation de non-observance), il ne s’agit pas de prendre en charge mais « en décharge », de permettre une ouverture, d’autoriser l’échappement pour respirer et décaler le propos ; de permettre à l’enfant ou l’adolescent de devenir sujet de ses soins, acteur à part entière de ses choix et de sa prise en charge (et non de rester "objet passif de soins") ; de reconnaître et de l’aider à identifier lui-même sa place au sein du groupe et de sa famille (Pommereau, 1997). C’est là un subjectivisme impliquant le passage d’une certaine passivité à la conquête d’une certaine maîtrise.

 

En guise de conclusion, rappelons que le traitement ne se réduit pas à la prescription et que, citant Basquin, l'idéal du bien traiter, c'est "accepter de travailler dans le paradoxe, dans la contrainte, dans les oppositions, dans le manque. Viser l'idéal et construire l'imparfait. Garder la cohérence et s'accommoder du discontinu. Cultiver l'ambition thérapeutique en même temps que se satisfaire de n'être qu'un gagne-petit. Combiner le pouvoir et l'impuissance… Mais toujours croire en l'avènement meilleur d'un sujet" (Basquin, 1998).

Et comme témoin, nous sommes là pour témoigner, écouter, prendre note… réagir aussi… à ce que le jeune nous donne à observer. En se rappelant que "tricher" un peu avec le médicament, ce n’est peut-être pas bien d’un point de vue somatique… Mais cela peut être bénéfique sur le plan psychique.

BIBLIOGRAPHIE

 

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BAQUIN M. L'idéal du bien traiter. Enfances et Psy. Erès, 1998, 2 87-90.

BURSZTEJN C. & Coll. Ne bourrez pas les enfants de psychotropes ! Le Monde, 27 mai 2000, 20.

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THEVENOT J.P. Le psychiatre d’enfants face à la prescription du médicament. L’Information Psychiatrique, 2000, 3, 267-270.

 

Auteurs :

Philippe Duverger est Professeur de Psychiatrie de l'Enfant et de l'Adolescent,

Jean Malka est Psychiatre, praticien Hospitalier,

Audrey Ninus est Psychologue,

et travaillent dans la Clinique de l'Adolescent et le Service de Psychiatrie de l'Enfant et de l'Adolescent

du Centre Hospitalier Universitaire d'Angers

49033 - Angers Cedex 01

Tél. : 02 41 35 44 42

Fax : 02 41 35 49 34

Email : PhDuverger@chu-angers.fr

 

Résumé :

De notre place de psychiatre et de psychologue d'enfants et d'adolescents, invités à travailler au sein d'un Département de Pédiatrie, nous proposons quelques pistes de réflexion autour des questions de la prescription et de l'observance médicamenteuse.

Au-delà des effets thérapeutiques attendus de la molécule, nous déclinons ce qu'il en est de la place, du statut et des représentations du médicament pour l'enfant. Nous évoquons les particularités des psychotropes. Enfin, nous abordons certaines significations psychopathologiques de la non-observance et la place importante de l'alliance thérapeutique.

 

Mots clés :

Prescription, observance, psychotrope, pédopsychiatrie.