Figures de la parentalité dans la peinture occidentale et les arts visuels


L’Objet transitionnel et les phénomènes transitionnels

Giovanni Bellini illustrateur de Winnicott !
Giovanni Bellini peintures entre 1475 et  1510


1460-64 Tempera on panel, 78 x 54 cm Civiche Raccolte d'Arte, Milan  

            C’est D Winnicott qui a sans doute le mieux défini la notion de phénomènes transitionnels chez l’enfant en 1958, dans le paragraphe sur "les possessions" de l'article  "La première année de l'enfant" [1]. L’un de ces phénomènes, « l’objet transitionnel » est même quasiment passé dans le langage commun. Nombre de parents et de professionnels de l’enfance y font référence en présentant le « doudou » d’un enfant dont ils vous parlent. Mais plus larges que la caricature d’un objet concret et visible, de ce fait plus aisément repérable, les phénomènes transitionnels témoignent des différentes étapes de l’individuation d’un enfant. L’individuation est un terme proposé par Margaret Mahler pour décrire les étapes de la découverte par l’enfant de sa propre individualité, bien distincte de celle de sa mère. Cette prise de conscience va introduire une dimension dialectique essentielle avec un jeu subtil de déplacement des frontières entre le bébé et sa mère, sans briser le continuum assuré par la préoccupation maternelle primaire et préparant la constitution de la relation d’objet.

Sa mère est-elle une simple continuité de lui-même ?

Sa mère, si elle est séparée de lui, ne lui a t’elle pas légué le sein qui reste donc une partie de lui-même ?

Cette mère qui le prive du sein (vient aussi un jour le temps du sevrage…) lui laisse t’elle une parole, une musique, une comptine, un objet à elle, un objet pour lui, un regard, un sourire, une caresse, un couffin réconfortant ou bien encore une sucette qui nourrira son souvenir pendant son absence ?

C’est dans cet entre-deux que va s’élaborer l’espace et la dialectique du jeu, activité ludique certes, mais aussi représentation du monde, théorisation de l’espace et de la relation.

Giovanni Bellini, à la fin du XVième siècle, n’avait pas ces notions à sa disposition, et pourtant cette succession de trois tableaux de Madonne à l’enfant prouve son don exceptionnel pour l’observation et la représentation :

Une mère, son enfant et un objet extérieur, un fruit. Ce fruit (sans doute un coing) va prendre progressivement de plus en plus de place à mesure que les interactions visuelles entre eux-deux vont diverger, avec la survenue d'un certain détachement de part et d'autre. Attardons-nous sur le dernier tableau.

La mère  tient son bébé d’environ 7 mois sur ses genoux. La station assise n’est pas encore tout à fait assurée et sa position est légèrement instable, il s’agrippe de la main gauche au vêtement de sa mère à hauteur de sa poitrine, son pied gauche est un peu crispé. De son côté, sa mère le retient de la main droite et soutient son dos, libérant les mains de l’enfant de leur fonction de sustentation. Il peut donc s’en servir pour explorer.

De sa main gauche la mère présente le fruit  à l’enfant et l’aide à le tenir. Le côté droit de l’enfant est détendu, dans une attitude d’exploration calme. Toute l’attention de l’enfant, regard et préhension, est concentrée sur ce fruit, substitut du sein maternel avec lequel il garde un contact de son autre main. Leurs regard divergent : l’enfant commence à construire son propre regard sur le monde, distinct de celui de sa mère. Celle-ci peut alors se décentrer de l’enfant. Cette représentation déroule avec une extrême finesse cette étape de l’individuation de l’enfant d’avec mère. Il s’agrippe encore à elle d’un côté  mais découvre la vie de l’autre, elle le retient d’une main mais lui offre une ouverture sur le monde de l’autre. L'objet transitionnel est un viatique.

Références :

1 - Winnicott D.W, La première année de la vie  in "De la pédiatrie à la psychanalyse"

2 - Le jeu dans l’œuvre de D.W. Winnicott http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=EP&ID_NUMPUBLIE=EP_015&ID_ARTICLE=EP_015_0041