Actes de la Cinquième Journée
MÉDECINE et SANTÉ de l'ADOLESCENT

 

 

 

ADOLESCENTS DIFFICILES: entre AUTORITÉS et SOINS

 

LES SOINS INTENSIFS AUTOUR DE L’ADOLESCENCE DIFFICILE

TRAVAIL DE «RESEAU»

 

M. Alapetite[1], L. Greffier[2], D. Petit[3], H. Pettenati[4]

 

Hélène Pettenati

 

Lors de ma première rencontre avec Mélanie, peu avant son quinzième anniversaire, elle a déjà connu fugues et tentatives de suicide, et vient d’essayer à nouveau de mourir, après le suicide de sa mère quelques mois plus tôt. Elle va par la suite enchaîner ces comportements « difficiles » (T.S., consommation de toxiques, conduites sexuelles à risque) qui nous sollicitent et nous mettent à mal. Elle soulève ainsi très rapidement la question des soins intensifs à ces adolescents, avec cette capacité à « faire s’inquiéter » pour elle, de par son histoire personnelle et familiale, sa souffrance, ses questions, et donc bien sûr ses comportements. Si alors on accepte de ne pas éloigner de soi la part folle qu’elle nous amène, dont nous parlera le docteur Petit, mais de travailler avec elle, elle nous engage dans un investissement soignant intensif.

Rapidement il est évident que ce travail demande un accompagnement accru, intensif lui aussi, un portage quotidien, un soutien qu’il faudra aussi tendre au père de Mélanie. Le cadre thérapeutique doit tenir Mélanie du côté du soin qui lui est indispensable, tout en la préservant d’une plongée vers la folie dont elle-même et son père la menacent.

L’accompagnement dans ce travail, remise en question continuelle du thérapeute, ne peut alors être assuré uniquement dans le cadre d’entretiens psychothérapiques au risque de mettre Mélanie en danger. C’est ainsi que le soin s’est réorganisé en lien avec le secteur de pédopsychiatrie. Ce réseau porteur n’a rien enlevé à la difficulté de prise en charge de Mélanie, mais lui a assuré une grande stabilité, une solidité, un soutien aux différents intervenants, souvent malmenés par sa souffrance, et l’a, par là même, autorisée à avancer.

 

 

Didier Petit

 

Comment pratiquer des soins intensifs quand ça menace d’aller très mal, quand l’entourage le ressent, quand la tentation se présente d’éloigner de soi la part folle si difficile à penser et à restituer…en éloignant la personne entière ?

Que subit la personne, de quoi va-t-elle pâtir ? C’est sur cette question fondamentale que se construisent des réponses ou plutôt un cadre évolutif au service d’une stratégie thérapeutique.

Nous professionnels, à quel moment faisons-nous subir dans le réel de la réalité que nous proposons des évènements cathartiques ou traumatiques ? Quel lien existe-t-il entre le soin proposé et l’historial de la vie quotidienne, de la vie familiale et relationnelle ? Par où passent les coupures symboliques pour la jeune, pour la famille ?

Les décisions, même d’ordre pratique, tiennent compte de cette sous-jacence.

Quand depuis la psychiatrie de liaison en travail de suivi le docteur Hélène Pettenati a décidé de faire appel à la psychiatrie de secteur, si j’ai bien compris, c’était pour solliciter de nous un suivi thérapeutique complémentaire intensif, mais en tenant compte de l’histoire familiale, de son actualité et de la complexité que représente les dimensions diagnostiques et pronostiques à cet âge. Nos décisions font parti du diagnostic…

En tant que pédopsychiatre, je me suis mis au service d’un suivi déjà commencé pour mettre au point en équipe une stratégie thérapeutique acceptable et pour l’intéressée et pour sa famille. Outre l’accueil par la permanence pour adolescents où Lydie, Jean-Marc et Myriam ont fait sa connaissance, Mélanie est invitée à participer à l’atelier pâtisserie au C.M.P. qui, contrairement à l’apparence du cadre, accueille des jeunes en grande difficulté. Autour de la préparation d’un gâteau réparateur s’échangent des paroles autour de la haine, de l’amour, de l’abandon, du sexe, de la mort.

Dans le paysage de la carence, voire de l’inversion, du portage maternel, rompu de surcroît par un acte de suicide, dans l’actualité d’une fragilité de ce que réalise le père, il fallut rencontrer le père avec Mélanie. Nous instituons des visites à domicile ayant pour cadre de surveiller et donner le traitement de façon sécure. En effet un laisser-aller manifeste de la vigilance parentale à propos du traitement semble ici faire figure de provocation a suicide. Cela donnera accès à la chambre-tombeau, dans le noir, que Mélanie entretenait comme tel dans sa rêverie au sujet de l’Absente. L’accompagnement permet de répondre partiellement à la question : qu’est-ce que rentrer chez soi pour un adolescent ?

Cette nouvelle institution de soin articulé aux entretiens psychothérapiques poursuivis au C.H.U. est issue aussi pour moi d’une rencontre marquante. Lors d’une tentative de suicide médicamenteuse qui mena Mélanie en réanimation, je fus amené à lui rendre visite après avoir fait le tour de ce que nous avions pu recueillir de ce qui s’était joué dans les espaces thérapeutiques. Je suis venu lui dire au nom des autres  qu’elle était attendue dès que possible, au-delà de cette mort là. Dans la rencontre, il y eut une grimace, une discordance géologique de la face, une contradiction  dans ses investissements affectifs paradoxaux des personnes adultes, des hommes, des femmes, un visage en quête d’unicité. Et puis il y eut un beau sourire concordant ou accordant, l’accord sur un point auquel elle pouvait se fier sans danger, non pas moi, mais le message de l’attente des autres, de l’atelier. Accord de ne pas être sanctionner pour sa T.S., par les effets de la haine inconsciente d’autrui face à un acte de disposition de soi, même si c’est le sens d’une impasse. Le Collectif (opérateur abstrait tendant à produire du thérapeutique) constitué autour d’elle maintient une existence psychique face aux mécanismes de répétition nostalgiques (différents du souvenir et de l’oubli). Elle éprouva une nouvelle passerelle thérapeutique.

Lydie, Madeleine, la permanence, la visite, la dimension de transfert maternel s’est greffée là, mais pas isolément, pas sans tension et pas sans se fier aux tiers tenant leur rôle pour leur part.

 

 

Lydie Greffier - La permanence pour adolescents

 

C’est avec une douleur psychique évidente qu’Amélie arrive à la  permanence pour adolescents où elle dépose, sans trop de difficulté, les faits marquants de son histoire qui semble s’arrêter avec la mort par suicide de sa mère.

 

Que peut-elle trouver dans ce lieu ?

Que peut-on lui apporter dans ce lieu ?

 

Et si déposer sa souffrance auprès de soignants et de jeunes attentifs aux histoires des uns et des autres en permettait la mise à distance ? Et si la confrontation aux réactions des uns et des autres était source d’élaboration psychique ; de mise en pensées de l’impensable ? Le trou noir fait dans la vie peut alors graduellement s’ourler.

Amélie fréquente régulièrement la permanence, elle y crée des liens : liens de connivence avec certains, liens de camaraderie avec les jeunes, liens thérapeutiques… Et sans doute d’autres non explicités, des liens sociaux probablement qui vont la porter dans ce passage douloureusement difficile de son existence, évitant par là la chute dans le trou noir à l’instar de sa mère.

 

Ces liens porteurs viennent s’ajouter à ceux tisser en d’autres cadres ; la psychothérapie, les visites à domicile, la scolarité….autant de possibilités de confrontation de son être au monde et à l’autre qu’elle peut éprouver et mettre en relation pour éviter la destruction psychique et physique.

 

 

Madeleine Alapetite

 

Lorsqu’à la demande d’Hélène nous réunissons les différents soignants qui prennent en charge Mélanie (permanence ados, atelier pâtisserie, pédopsychiatrie) et pour resserrer les liens autour d’elle, nous décidons ensemble de renforcer la fonction de portage en mettant en place des visites à domicile que Didier va devoir proposer au père comme un soutien médical dans la prise d’un traitement dont il aura la responsabilité. Deux visites par semaine, après le retour du lycée, où nous mettions en scène la prise de tension et du pouls et où nous confiions au papa et parfois à la belle-mère les médicaments pour trois ou quatre jours. Son père devait donner un comprimé à Mélanie et en vérifier la prise pour éviter que dans un passage à l’acte Mélanie ne prenne la totalité du traitement, ce qu’elle a fait à plusieurs reprises auparavant, prenant sur le frigo le flacon de Tercian négligemment laissé à sa tentation.

Le contrôle de la tension artérielle présenté comme indispensable à la mise en place d’un tel traitement en ambulatoire a permis au père de nous laisser pénétrer dans sa maison  et Mélanie de nous recevoir dans son lieu, sa chambre, son antre. Au fil des semaines, des mois, ce lieu toujours dans le noir (volets fermés, lumière allumée)m’a permis à chaque visite d’anticiper l’état psychique de Mélanie. Entre désordre et déménagement, rangement, tri de ses affaires au milieu de ses cours, ses photos, ses poèmes, ses dessins, ses peintures, elle me donnait à voir son désespoir, son envie de mourir, ses conflits avec son père, sa belle-mère, ses espoirs de quitter la maison, ses interrogations sur la féminité, ses capacités à être comme sa mère.

Insomniaque ou/et passant de journées dans le noir, elle m’inquiétait et je lui disais  que je pouvais la laisser et lui dire que j’appellerai demain et pendant le week-end, je cheminais avec elle dans sa prise en charge. As-tu vu Hélène ? Es-tu allée à la permanence vendredi, à l’atelier pâtisserie mardi ? Tu as raté ton rendez-vous ? Il faut que tu en reprennes un cette semaine; je t’appellerai pour savoir si tu as pu en avoir un; c’est important, Mélanie.

Fonction maternelle de la psychiatrie de secteur, nous sommes dans le nébuleuse mère en tant qu’intervenant du secteur, soulignait Michel Amar qui nous a fait travailler sur ce cas entre autre.

Mélanie est une adolescente d’une grande finesse et mes visites hebdomadaires d’une heure sont rituelles et en tant qu’infirmière j’interviens concrètement. Je vérifie ses constantes, elle me demande d’essayer cet instrument qu’est le stéthoscope et elle dit aujourd’hui que je lui ai appris à prendre la tension. Sa part infirmière d’elle-même.

Je l’interroge sur la prise de son traitement, comment elle vit dans sa chambre « noire », au lycée, avec son père, ses copains, ses loisirs. Elle a choisi au lycée une option, audiovisuel, elle écrit des scénarios, participe au festival de cinéma et son loisir préféré est le ping-pong.

Je dois interrompre  pendant trois mois la prise en charge de Mélanie pour un problème personnel de santé et lorsque j’ai repris contact j’étais extrêmement inquiète de son état par ses propos suicidaires et morbides et je me suis demandée si elle m’interrogeait  sur sa propre mort ou sur la mienne.

Les réunions de reprise avec la permanence ados sont alors d’une grande qualité clinique et ont permis de tenir compte des différentes facettes de la personnalité de Mélanie, beaucoup moins inquiétantes avec certaines personnes qu’avec d’autres, moi en l’occurrence.

Au cours de mes visites elle me parle beaucoup de sa scolarité cahotique, elle travaille toujours dans l’urgence la nuit dans son lit, elle fait ses dissertations quand elle pense que ça n’a pas marché. Finalement elle a une note correcte, voire une très bonne note, en première et en terminale.

Le bac se profile de manière incertaine mais elle le passe et l’obtient en première session.

Elle est dans une démarche d’inscription en fac et à mon grand étonnement elle s’inscrit en philo en septembre alors qu’elle avait toujours son option audiovisuel. Elle a une chambre en cité universitaire et obtient une bourse.

Les visites à domicile se sont arrêtées avant le bac, d’un commun accord, elle devait m’appeler si besoin.

En fait, elle me donne de ses nouvelles par téléphone, sa réussite au bac, son code. L’été dernier elle me donne un rendez-vous sur les marches du théâtre et nous allons prendre un café. Elle me parle de ses projets. Elle est épanouie, pleine d’humour, ravie de quitter le domicile parental, d’aller vivre ailleurs. Au cours de cette année elle revenait d’abord tous les week-ends, puis tous les quinze jours. Enfin elle a espacé ses retours à la maison toujours en conflit avec un père alcoolisé à différents degrés.

Elle ne savait plus pourquoi elle rentrait, pour son petit frère ? Mais «  il s’en sort bien, c’est un garçon ! ». Quand elle s’inscrit en première année de philo, je lui propose de lui donner des bouquins, elle est étonnée et ravie. Elle aura une appréciation sur nos rencontres depuis le bac «  je suis contente, maintenant on peut se voir autrement, je ne suis plus une patiente » « oui, lui dis-je, sauf que je suis toujours soignante ! »

Mélanie au cours des visites m’a donné des dessins à elle, elle me demandait la semaine suivante où je l’avais mis, ce que j’en avais fait, plusieurs mois après, elle me demandait si je l’avais toujours.

Dans sa chambre, elle me faisait écouter sa musique, son dernier CD ou la station de radio qu’elle écoutait. Quand j’étais avec elle le temps de la visite, elle mettait la musique pour éviter les oreilles indiscrètes de la famille, elle pensait que l’on pouvait l’écouter.

Sa chambre aménagée comme un studio, une télé, une chaîne HIFI, un clic-clac, son lit, une étagère, un bureau, étaient son monde, son espace, sa vie intime mais elle n’était pas du tout gênée de me recevoir dans ce capharnaüm qu’elle pouvait en une nuit entièrement déménager et reconfigurer. Son activité nocturne m’interrogeait sur un délire possible ? Des hallucinations ? Il y a un mois, à la fin de son année universitaire, elle m’a téléphoné plusieurs fois, pour me dire que la philo, c’était génial, surtout elle rêve de faire de la philosophie politique, elle réussit les premiers partiels et elle veut m’en faire part disant qu’elle ne se croyait pas capable et qu’elle est très contente d’elle, c’est cool !

Puis elle m’appelle pour me dire qu’elle est amoureuse d’une femme et qu’elle voudrait bien me la présenter, ce qu’elle fera en juillet avec un rendez-vous sur les marches du théâtre. De loin on dirait des jumelles, elles ont la même casquette qu’elles viennent d’acheter (en tissu tenue militaire de camouflage). Mélanie me présente son amie « ma femme »

Mélanie a quitté la cité U et a déménagé chez la mère de cette amie où elles vont habiter toutes les 3 avec le projet de trouver un appartement pour toutes les 2 à la rentrée.

Elles sont à Angers pendant 15 jours en juillet chez le père de Mélanie qui devaient leur laisser la maison et partir en vacances avec le petit frère mais, comme d’habitude » dira Mélanie,  il n’a pas assuré et il n’est pas en vacances.

Par contre au mois d’août Mélanie doit travailler dans l’entreprise de son père. Le père offre son soutien à sa fille par ce biais là. Je n’ai plus de nouvelles.

Le départ d’Hélène ? (congé maternité, retour, départ) « je veux la voir », écrire… elle ne l’a pas fait.

Les visites à domicile ont permis à Mélanie de retrouver son statut d’adolescente, nous étions dans la préoccupation  maternelle alors qu’elle avait été une soignante pour sa mère qu’elle surveillait. Elle n’était pas toute puissante. Elle pourra parler de son identification à sa mère dans ses périodes dépressives, suicidaires et nous pourrons travailler sur son histoire propre en tenant compte du suicide de sa mère, de l’alcoolisme de son père et de l’actualité des visites, de l’alcoolisation massive de sa belle-mère (meilleure amie de sa mère). Comment vivre avec le souvenir de sa mère morte, sujet du manque avec lequel il faut être, sans être dans la répétition de ce manque. En fait Mélanie interroge notre capacité à s’inquiéter pour cela, pourrai-je être un sujet de préoccupation, est-ce que j’intéresse quelqu’un ?

Ses relations amoureuses à cette époque sont celles d’une ado, elle craque pour un, rompt avec un autre, en invite chez elle, a des relations platoniques, puis des relations sexuelles, prend la pilule, ne la prend plus, a peur de faire l’amour, a peur de perdre son copain parce qu’elle ne veut pas faire l’amour etc.

 

Sur ces dernières préoccupations, s’arrête la prise en charge officielle de Mélanie. Je sais que si elle va mal, elle va rappeler.

 

Conclusion

 

Didier Petit

 

L’ouverture sur l’avenir…

C’est avoir rendu possible par l’accompagnement la manifestation d’une demande.

L’ouverture sur l’avenir…

C’est qu’une adolescente puisse s’appuyer sur les équipes qu’elle rencontre lors de moments de crises pour ne pas être jugée et trouver la capacité à se contenir face à l’effondrement.

L’espace de réflexion de la fédération adolescent nous permet d’élaborer les soins intensifs pratiqués en réseau au fur et mesure.

La compétence à pratiquer des visites à domicile thérapeutiques vient de la pratique infirmière de secteur adulte.

La pratique en atelier thérapeutique s’est appuyée sur les propositions de la pédopsychiatrie (ateliers thérapeutiques pour adolescents au CMP).

 

La qualité du travail de réseau permet de constituer un chœur, au sens de sa fonction dans la tragédie antique, soit de soutenir passage et continuité de soins comme étant le paradoxe efficace de la vie psychique.



[1] Cadre infirmière - Fédération adolescents - Ste Gemmes S/Loire, regroupant les secteurs adultes II, III et secteur ouest de Pédopsychiatrie.

[2] Infirmière - Fédération adolescents  - Ste Gemmes S/Loire, regroupant les secteurs adultes II, III et secteur ouest de Pédopsychiatrie.

[3] Praticien hospitalier, secteur ouest de Pédopsychiatrie - Ste Gemmes S/Loire.

[4] Praticien hospitalier , secteur de Pédopsychiatrie - C.H. de la Rochelle.

  a exercé durant la situation exposée dans le service de pédopsychiatrie du C.H.U.d’Angers, en tant que pédopsychiatre de liaison.