Actes de la Cinquième Journée
MÉDECINE et SANTÉ de l'ADOLESCENT

 

 

 

ADOLESCENTS DIFFICILES: entre AUTORITÉS et SOINS

AVANT PROPOS[1]

 

La Médecine de l'adolescent prend en compte un sujet en proie à de profondes transformations physiques, psychologiques, sociales : clinique à la fois syncrétique et originale, elle ne peut se réduire à la simple juxtaposition d'éléments de médecine de l'enfant et de médecine de l'adulte, de médecine somatique et de médecine psychiatrique. Elle a pour objet de soin un individu qui tente de devenir le sujet de son corps et de sa vie : la rencontre avec le médecin sera-t-elle pour cet individu adolescent l'occasion d'une possible appropriation de cette subjectivation ou le maintiendra-t-elle dans un statut de dépendance qui, souvent pour le jeune, est à la fois la source de sa souffrance et l'origine de ses manifestations symptomatiques.

 

La plupart des besoins médicaux des adolescents sont sous l'influence directe ou indirecte de cette dynamique de transformation. Toutefois, clinique du changement, du mouvement et de la nouveauté, la médecine de l'adolescent doit aussi, au-delà de la conjoncture, resituer l'adolescent dans la continuité de sa trajectoire globale de développement somatique et psychologique, individuel et familial.

 

Le soin à l'adolescence est toujours sous-tendu par les questions fondamentales relatives aux transformations corporelles plus ou moins bien vécues de la puberté, au fait de maintenant posséder un corps sexué d'homme ou de femme, à la redéfinition plus ou moins critique de la relation avec ses parents et au besoin nouveau d'autonomie et d'inscription dans le corps social. Les craintes concernant le devenir de tous ces processus prennent souvent la forme d'un questionnement insistant sur la normalité physique ou psychique, craintes bien évidemment renforcées quand une maladie entrave de longue date le développement ou surgit soudainement à cette période ou encore, semble se décompenser sous l'impact de la puberté et échapper aux tentatives de soins.

 

Toutes ces questions concernent l'adolescent mais aussi son entourage qui, par ses réactions, témoigne de ses capacités ou de ses difficultés à s'adapter à une telle transformation.

 

Volontiers perçue comme tout à tour fascinante et délicate, aléatoire et difficile, la médecine de l'adolescent est une pratique interactive qui échappe aux représentations simples : l'espace médical "élargi" dont elle se prévaut tire son efficacité de l'intégration de savoirs et de savoir-faire issus de champs différents, intégration seule susceptible de répondre aux symptômes "flous" des jeunes, à leurs plaintes indifférenciées, à une expression souvent transnosographique qui doit rencontrer une écoute transdisciplinaire.

 

La médecine de l'adolescent est en quelque sorte un défi aux fréquentes orientations médicales actuelles où le champ d'investigation se réduit de plus en plus à l'organe, la cellule, la biochimie, le gène et la molécule. Certes, les données scientifiques les plus récentes doivent être connues et sont à prendre en compte : la médecine de l'adolescent doit refuser toute approximation et au flou des plaintes ne doit en aucune manière répondre un flou des connaissances scientifiques. Cependant, l'adolescent à travers son comportement, ses manifestations éventuelles d'opposition, de refus d'observance rappelle aussi au clinicien, si compétent soit-il au plan scientifique, qu'il n'y a de véritable médecin qu'au travers d'un souci de soin élargi s'adressant au sujet dans la globalité de sa personne et de son entourage.

Souvent médecine des paradoxes, toujours médecine de la relation, la médecine de l'adolescence ne renvoie pas pour autant à une sémiologie inconsistante : outre la connaissance des aspects somatiques, psychologiques et psychopathologiques, socio-familiaux et éducatifs de l'adolescence, l'analyse et l'approche plurifactorielles des situations appréhendées sont ses objectifs premiers. Cette connaissance clinique plurielle est le préalable indispensable permettant de garantir la qualité et la cohérence de la relation de soin avec l'adolescent et son entourage.

 

Si comme tout malade, l'adolescent malade est nécessairement l'objet de soin du médecin, le souci du médecin d'adolescent est aussi de permettre à cet individu de devenir le sujet de sa santé en lui restituant la part active de lui-même, seule garante d'une conquête durable de la capacité à prendre soin de soi. En ce sens, il n'y a pas de médecine de l'adolescent sans prise en compte de la "santé de l'adolescent" qui devient alors partie prenante d'une prise en charge ne se limitant pas à la maladie actuelle dont souffre présentement le jeune.

 

En effet, la "Santé de l'adolescent" ouvre un autre espace, beaucoup plus vaste que le précédent. Il faut s'interroger sur la capacité de l'individu à prendre soin de lui-même mais aussi sur la capacité pour une société de permettre à ses sujets de s'approprier cette dimension. Recherche permanente d'équilibre entre l'individu et son environnement, la santé nécessite un certain degré d'autonomie individuelle et au plan collectif une participation de la communauté aux activités de prévention comme de soin. Débordant le cadre de la médecine, la santé concerne non seulement l'épidémiologiste mais aussi le sociologue, le pédagogue, l'éducateur, le travailleur social, le magistrat, le philosophe etc. Pour l'individu, la capacité à prendre soin de soi d'une façon qui ne soit ni une pusillanimité excessive, ni une confiance abusive implique une estime de soi bien tempérée, un mélange harmonieux d'activité et de passivité, de possibilité de s'opposer ou d'obéir, en un mot un ensemble assez paradoxal de "qualités" dont la conjonction est rien moins qu'évidente à l'adolescence. Pourtant notre expérience clinique nous le montre, c'est à cet âge que l'individu se forge progressivement les bases de ce "souci de soi" qui accompagnera le sujet sa vie durant et sera son allié privilégié pour recouvrer la santé quand elle lui fera défaut.

 

Médecine et Santé sont, à l'adolescence, indissociables, c'est la raison pour laquelle la pluridisciplinarité fonde l'essence même de la clinique qui se consacre à cet âge symbole et reflet de nos sociétés dont on sait les immenses qualités mais aussi les redoutables menaces.

 

Les journées de Médecine et Santé de l'Adolescent ainsi que le Diplôme Inter Universitaire de Médecine et Santé de l'adolescent sont l'expression de ces objectifs.



[1] Ce texte est tiré de "Médecine et Santé de l'adolescent" - AVIN P., MARCELLI D., Paris, Masson, 2000, 310p.