Actes de la Cinquième Journée
MÉDECINE et SANTÉ de l'ADOLESCENT

 

 

 

ADOLESCENTS DIFFICILES: entre AUTORITÉS et SOINS

LA CO-ERRANCE

 

L. GABORY[1]

 

Je ne parle pas bien le psychiatre mais je m’efforce de le comprendre. J’ai appris le Droit et pratiqué un peu le travail social ou plutôt le travailleur médico-social.

Entre Loire et Maine, à la confluence, je suis inspecteur de l’enfance.

Confluence, je trouve que le mot situe pas mal ma place dont je ne sais si elle est entre autorité et soins mais dont je suis certain qu’elle se nourrit de l’apport des tiers pour proposer une direction susceptible de remettre le sujet dans le sens du courant.

Les ados difficiles : ils sont renfrognés, boudeurs, montrent qu’ils s’ennuient souvent, mais surtout, ne voient pas où est le problème et pourquoi diable on viendrait s’en mêler. Alors, qui est qui et dans le cadre dans lequel on travaille n’est pas vraiment leur souci. Ils n’imaginent pas à quel point nous nous inscrivons dans une logique institutionnelle ou de formation qui va parfois conduire à la co-errance avec eux.

J’aime bien cette expression parce qu’elle sonne presque comme l’incohérence mais nous pousse à la réécrire : cohérence.

Je suis encore trop souvent frappé des parcours d’aide proposés à ces jeunes et de la co-errance qui y a présidé. Non que personne n’y ait vu clair, les dossiers sont plein d’avis éclairés souvent dès le début de la prise en charge, mais parce qu’il y a eu souvent une réalité de placement ou d’accompagnement sous une forme dont précisément l’analyse de la situation disait : ça, ça ne marchera pas ou ça marchera si …, et que la condition na pas été réunie. Je suis un piètre bricoleur mais comme cuistot c’est un peu mieux. Quel rapport me direz-vous ? Et bien j’ai toujours trouvé qu’avec les adolescents difficiles, ça relevait davantage de la cuisine que de la mécanique. Une cuisine qui nous force à mêler toutes sortes d’ingrédients, à surveiller le lait sur le feu, à craindre le goût résultant de la production et à devoir se soumettre à des palais bien différents. D’une cuisson à l’autre en plus, je vais peiner à reproduire à l’identique.

Parcours chaotique disais-je. Il ne s’agit pas d’inattention, non, plutôt d’inadéquation et pas seulement de moyens. La réactivité n’est pas le fort des administrations ou des grosses structures qui portent en elle une forte inertie. La réactivité, pourtant, est essentielle pour ces cas là d’adolescents difficiles. Idem pour la souplesse, la possibilité de mettre en échec et d’y revenir, la référence (qui, comme son nom l’indique, gagnerait à moins de mouvance)…

Alors ? Quelque chose à inventer ? Peut-être ! Mais l’existant est déjà riche. Il se mutualise mal, il est méconnu parfois. La prise en charge à plusieurs mains est assez rare et quand elle existe, les mains appartiennent à des «corps» différents ce qui ne manquent pas de créer un défaut d’intégrité.

Partir du Sujet pour bâtir en commun un cadre qui, pour pluri-institutionnel qu’il soit, reste cohérent et globalement, pour le Sujet, vécu comme un dispositif unique d’aide et de soutien me paraît nécessaire. Il faut pour cela, se connaître, être en capacité de s’inscrire dans une forme de solidarité, de complémentarité (qui ne pourra pas toujours s’inscrire où on l’attend, ainsi de l’hébergement dans le soins).

«L’accroche» faite, l’accompagnement peut commencer, peut être alors l’autorité et/ou le soin seront pratiqués avant d’être nommés peut-être identifiés par eux et encore peut-être reconnus comme légitimes.

Le nombre de peut-être fait glisser vers le pari, l’aléatoire, est introduit, le «jeu» également qui nous permet de faire avec, d’engager des parties qui se perdent ou se gagnent, de s’attacher à l’esprit, la technique et pleins d’autres aspects.

Le cadre contenant que tous le monde appelle de ses vœux n’existerait-il qu’en prison ou à l’hôpital psychiatrique ? A défaut, je botte en touche, pardon, en séjours de rupture. Souvent réussi ledit séjour mais tellement loin de la réalité du retour. Le cadre, c’est en roseau qu’il faut l’imaginer et c’est à tous de le tresser et de veiller à son entretien pour le rendre contenant.

Le Sujet que je rencontre est indivisible mais ses difficultés sont multiples. Il doit manger dormir où réapprendre cela, être accompagné dans sa vie sociale et l’apprentissage qu’il en fait, être protégé des tiers ou de lui-même mais il faut aussi parfois protéger les tiers du sujet etc. etc. … Vaste programme ! Tout le monde y a sa place : Autorité et soins, mais ensemble, de grâce, que le "entre" ne crée pas le vide ou ne soit pas le coin qui conduise à l’éclatement, l’explosion, l’éparpillement. Beau programme ! Mais mal ajustable en temps réel et qui s’inscrit dans une réalité de moyens à laquelle nous n’échappons pas. La réalité de ces moyens doit aussi s’imposer à ces ados qui vont devoir vivre avec d’autres réalités du même ordre.

Entre autorités et soins, je nage plutôt entre réalisme et idéal et je m’efforce de l’inscrire (l’adolescent) dans un ou des dispositifs qui devront concourir à ramener ces adolescents difficiles «les pieds sur terre».

Faisons par ailleurs la chasse à l’urgence et donnons-nous le temps de comprendre.

L’heure est au parcours individualisé, au projet personnalisé, à l’adhésion de l’ado au projet d’établissement, mais s’ils pouvaient faire tout ça avant d’être admis, c’est qu’ils auraient déjà parcouru du chemin.

S’ils n’adhèrent plus ? On ne peut plus être dans le soin, on ne peut plus le contenir, il faut demander la mainlevée, alors ?! Pas de soins, plus d’autorité… Reste le danger… Peut-on «contenir», «soigner» le sujet malgré lui. Honnêtement je ne sais pas !

Je ne sais pas cela et plein d’autres choses et j’ai avant tout besoin d’échanger avec les autres, comme aujourd’hui, et que cela se prolonge autour du concret des situations qui se présentent à chacun. Entre autorité et soins : écouter et dire : éduquer c’est l’affaire de tous.



[1] L. GABORY, Inspecteur de l'Enfance - Aide Sociale à l'Enfance (ASE) - Angers.