Actes de la Cinquième Journée
MÉDECINE et SANTÉ de l'ADOLESCENT

 

 

 

ADOLESCENTS DIFFICILES: entre AUTORITÉS et SOINS


CONTRAT DE SOIN POUR « ADOLESCENTS DIFFICILES »

AMBITION ET PRAGMATISME

 

M. CORCOS[1]

 

« L’objet ne subsiste que par ses limites,
c’est-à-dire par une sorte d’acte d’hostilité envers son entourage (…).
Lorsqu’un être vit ainsi continuellement les regards posés sur un autre,
il arrive que son corps lui soit littéralement dérobé et se précipite comme un petit météore dans le soleil de l’autre corps ».

Robert Musil, « L’homme sans qualités », Point Seuil, 1983

 

INTRODUCTION

 

Si Freud pensait difficile le panachage de pratiques différentes chez un même thérapeute, il concevait par contre que la psychanalyse puisse se joindre pour un même patient à d’autres techniques thérapeutiques. Dans ces Nouvelles Conférences (6), il énonce à propos des limites de la cure:  « beaucoup trop souvent, on croit qu’il manque à la thérapie l’énergie pulsionnelle nécessaire pour imposer le changement. Une certaine dépendance, une certaine composante pulsionnelle est trop forte en comparaison des forces adverses que nous pouvons mobiliser. Il en est ainsi, d’une façon tout à fait générale, pour les psychoses. Nous les comprenons suffisamment pour savoir où poser les leviers, mais ils ne pourraient soulever cette charge. Là-dessus se greffe même l’espoir qu’à l’avenir la connaissance des effets hormonaux nous prêtera les moyens de lutter victorieusement contre les effets quantitatifs des maladies, mais aujourd’hui nous en sommes bien loin ». (6)

Mais il poursuit en précisant qu’il est par contre vain de vouloir chercher à « gagner du temps sur le temps » que nécessite l’analyse en modifiant la technique de celle-ci… Puis, il conclut : « la psychanalyse a commencé en tant que thérapie, cependant ce n’est pas en tant que thérapie que je voulais la recommander à votre intérêt, mais à cause de son contenu de vérité…sur l’homme… » (6)

La question centrale est donc posée en filigrane : modification de la technique analytique ou pluralité des techniques associées plus complémentaires qu’antinomiques ? La seconde question attenante primordiale : favoriser l’analyse, ou « gagner du temps », au risque de réduire l’aventure analytique au seul projet de guérison symptomatique (fuite dans la guérison)  ? Pragmatisme ou ambition ? Mégalomanie ou renoncement ?

Nous connaissons bien maintenant la nécessité d’aménagement du cadre pour garantir la « faisabilité » de certains traitements analytiques chez les « adolescents difficiles ». Le face à face, la demande de rencontre avec un consultant tiers et la proposition d’une éventuelle prescription médicamenteuse peut faire partie de ce que l’analyste lui-même envisage comme conditions nécessaires à l’instauration d’un processus analytique qui garde cependant sa singularité et sa temporalité propre.

Soutenir l’adolescent dans ses investissements psychiques, mais prévenir ses contre-investissements symptomatiques par trop invalidants, l’inscrire dans sa temporalité dans « l’ici et maintenant », mais préserver le temps de la psychothérapie, l’inciter à rencontrer un analyste « pour lui-même », mais étayer cette rencontre dans le cadre d’une thérapie bifocale. Le consultant va être porteur de toutes ces contradictions, tenter de réduire ces écarts et veiller à ce que les actes posés restent « élaboratifs ». Il ne pourra le faire que dans le cadre d’un contrat de soin avec pour visée essentielle de permettre à l’analyste de travailler dans un certain confort.

 

 

EVOLUTION SOCIALE ET STANDARDISATION DES SOINS

 

L’évolution sensible ces dernières années des pratiques médicales vers une dynamique de contractualisation des soins  est à référer à une évolution sociale marquée par le « désir » de plus de transparence dans une société sans règles, ni système de valeur aussi clairement établis voire imposés qu’auparavant.

L’analogie marchande que laisse entendre le terme de contrat de soin est suffisamment éloquente de l’influence de cette évolution des sociétés occidentales sur le système de santé.

Même si la demande de transparence reste dans une large mesure ambiguë, la législation en cours de validation de l’accès libre du patient au dossier médical confirme une évolution sensible de la relation médecin-malade, et la possibilité de procès en cas de litige a pris sa place en arrière fond du dialogue thérapeutique.

Il est un fait que la demande sociale de soins s’est beaucoup transformé. Le médecin semble être passé du statut de maître plus ou moins idéalisé ou parentifié à celui « d’expert » à qui il est demandé compétence et devoir. Le droit à la santé n’est plus une espérance mais un acquis ; et le soin n’est pas loin d’avoir pris un statut d’objet de consommation.

Si ces schèmes sociaux ont sensiblement infiltré l’exercice médical en médecine somatique, il n’en est probablement pas, encore de même en psychiatrie, où les difficultés d’une telle démarche sont autrement problématiques. A fortiori en psychiatrie d’enfant et d’adolescent.

Ce préambule vise à souligner que cet environnement social modifiant les modalités de soin, dont l’influence anglo-saxonne est nette, n’est pas sans modifier nos prises en charge. Surtout celles qui s’écartent le plus de ce modèle anglo-saxon, à savoir l’approche psychanalytique. Les recommandations pratiques issues de ce modèle étant bien évidemment en lien direct avec l’approche étiopathogénique, biologico-clinique, et éducative actuellement prévalente. A ce titre, d’aucuns s’inquiètent de l’évolution du système de soins en psychiatrie vers une prise en charge orientée vers l’éducatif plus que vers le soin psychothérapeutique et qui serait gérée essentiellement par les omnipraticiens et les services sociaux sous « supervision experte » des psychiatres dont le nombre va diminuer dans les années à venir.

 

Précisons donc, d’emblée que le « centre de gravité » de notre approche psychanalytique compréhensive, diagnostic et thérapeutique, est mise à mal par cette évolution sociale, et qu’elle doit s’y adapter sans s’y perdre.

Elle peut et doit prendre en compte la demande d’un contrat de soin formulé par un patient et sa famille si elle précise d’emblée en s’en expliquant que travaillant sur les processus inconscients, le contrat ne saurait s’inscrire dans une tactique à court terme ou une stratégie rationnelle à long terme.

Sa logique de soulagement de la souffrance ne saurait être confondu avec une logique de pacification opératoire (puisqu’elle prend appui sur la force thérapeutique des conflits maîtrisés) et a fortiori avec une logique de normalisation demandée plus ou moins inconsciemment par la famille ou la société.

Le contrat n’est pas le rejeton psychiatrique de la loi ou des contraintes collectives face à la liberté individuelle. Ce qui est en jeu ici demeure la souffrance et le désir subjectifs du patient sans éluder la nécessité vitale d’un accord minimal de cette liberté individuelle de s’épanouir ou de se détruire avec le collectif.

Ce qui est visé c’est bien l’expansion de cette liberté individuelle entravée, par l’accession à la capacité de choisir. Mais, le contrat se doit d’intégrer les limites qu’imposent la vie collective et dit l’importance de ne pas être en dehors du groupe social. Plus profondément, il dénonce ce faisant l’illusion d’une liberté sans limite et sans but qui ne peut qu’ouvrir la voie à la contingence et donc au désordre. Le contrat ne s’oppose pas à la pulsionnalité et à cette apparente libération sans fin d’un désir. Le contrat ne dicte pas des valeurs et n’énonce pas un sens moral. Il a une fonction protectrice du moi, non dans un but répressif ou adaptatif, mais dans un but économique.

Il est vrai que pendant tout un temps le traitement psychothérapeutique s’était attaché essentiellement à aider à libérer le sujet de ses entraves et que dans nos sociétés plus libérales, plus violentes, il s’agirait désormais de trouver des modalités de contention de la pulsionnalité pour éviter qu’elle ne déstabilise un moi fragile. 

Dans ce même axe de questionnement, mais plus spécifique à la psychiatrie d’adolescent, la différence générationnelle (thérapeute-adolescent) qui participe à structurer et fonder le contrat n’est-elle pas problématique, en ce qu’elle permettrait de maintenir le « diktat » d’une compétence et d’une autorité de l’adulte. Loin d’une visée éducative, l’approche psychanalytique accorde à l’adolescent une vie psychique et un rôle d’acteur et de responsable en présupposant une identité d’adulte en formation plus qu’une structuration psychique d’enfant fixé à la névrose infantile.

 

Pour ceux pour qui l’approche psychanalytique prévaut, un élément essentiel a toujours été de considérer le patient non comme un « client passif » soumis à l’autorité médicale supposée savoir, mais comme un partenaire dans l’alliance thérapeutique, partenaire dont on souhaite qu’il puisse se montrer un cothérapeute dans l’adhésion à une démarche thérapeutique, dont on accepte qu’il puisse se montrer un adversaire résistant plus ou moins retors, mais en définitive qu’on redoute surtout voir être un patient « compliant » à la thérapeutique, dans l’adhérence, voire dans l’absorption mimétique.

L’autre élément essentiel dans cette approche est l’importance accordée à la réflexion du médecin sur sa propre implication et son engagement dans le traitement. En dehors même de ses capacités à penser son contre transfert, c’est sa réflexion sur le contrat qu’il a lui-même passé avec le socius que nous soulignons ici. Ce qu’il entreprend est bien évidemment pris dans une visée actuelle orientée par l’environnement social. Le processus qu’il met en marche avec son patient est-il totalement maîtrisé dans une référence plus ou moins idéologique ? Est-il dicté par l’efficacité à tout prix que dicte la vox-populi ? Est-il co-construit avec le patient ?.

 

Pour en même temps favoriser cette adhésion minimale qui dit un désir, et contenir la pulsionnalité débordante, le traitement psychanalytique doit s’adapter face à des psychopathologies moins ancrées dans l’inhibition névrotique, et se situant essentiellement dans des registres narcissiques et borderlines favorisant le passage à l’acte.

Il ne lui est plus possible d’attendre la demande du patient et de travailler sur la régression inhérente au processus sans anticiper les passages à l’acte.

D’un point de vue économique, l’institution d’un contrat permet « de protéger le narcissisme du patient et de lui éviter des conflits de désir en lui donnant la possibilité de méconnaître son implication affective et le poids des investissements » (P. Jeammet) (11). Il soulage le patient d’avoir à faire une demande en comprenant que la demande est dans la répétition du symptôme avec ses effets délétères. La demande est humiliante car elle stigmatise la dépendance du patient et son avidité de passivité.

 

Le modèle de la cure classique avec ses règles contraignantes apparaît le plus souvent inadéquat, en particulier à l’adolescence.

Alors, comment concilier la régression et le mouvement dépressif source d’élaboration mutative avec les exigences de la réalité externe ?

 

La thérapie bifocale associant un psychiatre référent qui propose un contrat de soin, et un psychothérapeute dans la prise en charge, nous semble particulièrement indiquée lorsque que nous sommes confrontés à ces problématiques narcissiques qui ne trouvent d’autre résolution que dans l’agir, notamment celles relevant de comportements fréquents d’externalisation des conflits (Corcos, 1999), conduites qui mettent à mal un contrat psychothérapique classique.

 

 

DIALECTIQUE DE LA DEMANDE ET DE L’OFFRE : LA FONCTION ECONOMIQUE DU CONTRAT FACE AU PROBLEME DE L’ECONOMIE NARCISSIQUE À L’ADOLESCENCE

 

Le terme de contrat dans son intitulé laisse entendre un accord préalable clair ou à défaut, une contrainte mutuelle acceptée, en d’autres termes laisse augurer le pur, le définitif, le maîtrisé, le clair.

Y accoler le qualificatif de soin ouvre à la notion de processus thérapeutique avec tout ce qu’il sous-entend, de mouvement psychique vers un devenir soumis à l’ambivalence, l’aléatoire, le non déterminé à l’avance.

Les deux termes ne sont pas antinomiques si l’on considère que le contrat de soin est un moyen plus qu’une fin. Il évoque un chemin plus qu’il ne définit un but. Ce n’est pas un cadre « fini », c’est un « trajet », un processus de travail, la marque d’un désir de travailler en commun. Le contrat dit « la forme » du travail et non « le fond ». Il est au service de la méthode plus qu’il ne le la définit.

Si le modèle contractuel a des vertus générales, il ne s’interdit pas de s’enrichir de propriétés d’exceptions générées par l’individualité de chaque patient. Et c’est dans cet enrichissement et cette transformation du modèle contractuel que quelque chose du fond du traitement pour un patient donné est mis à jour. Ce sont toujours les détails individuels qui font centre.

Sur ce chemin encadré, une large place est accordée à ce qui va advenir (qui doit rester au maximum ouvert c’est à dire vivant) plus que ne sont définis des étapes (Steps by steps dans les thérapies comportementales) et ce qui advient est dépendant, voire généré par les insuffisances du contrat, son aspect de contrainte, les fantasmes qu’il engendre, les illusions et les déceptions qu’il génère. Il va s’agir d’avancer en tâtonnant, se trompant, se laissant surprendre et toujours discuter. Discuter du contrat qui nous lie à un objet humain plus que du symptôme en son huis clos. Favoriser ce déplacement de la maladie vers le malade.

 

Un contrat de soin est fait pour être mis à l’épreuve, défié, voir attaqué. C’est dire à quel point il n’est pas sous tendu par une idéologie de compliance.

Ce qui est testé, c’est la détermination soignante, sa faiblesse à se laisser séduire ou pervertir dans une relation à connotation incestueuse où sa propension à se rigidifier phobiquement dans l’emprise ou à répondre à toute transgression par une sanction. Ce qui doit être étudié dans ces attaques c’est l’aptitude du patient à transformer l’objet thérapeute en être tout puissant auquel il va se soumettre ou à le vivre invariablement comme un persécuteur dans les deux cas dans un mode relationnel qui tend à reproduire le modèle familial.

C’est ce que souligne R. Cahn, (1998) (2) en évoquant le cadre institutionnel dans la prise en charge des adolescents psychotiques : "un tel cadre n’a de sens que pour autant qu’il permet, à partir de ce qui est proposé et réalisé, que vienne à se développer plus ou moins rapidement, mais inexorablement la compulsion de répétition ». Le contrat de soin encadre donc la répétition qui dit le fonctionnement prévalent du patient.

 

Le contrat est bien un moyen de comprendre plus qu’il ne répond à une fin de contention.

Le contrat a en effet pour fonction essentielle de se représenter pour le patient et le thérapeute la pulsionnalité et les limites. Bien évidemment les deux protagonistes engagent différemment leurs limites.

Les contraintes exercées par le contrat ne visent pas à entraver la liberté du patient, mais à exercer une action contenante, pareexcitante car liante des éprouvés. Cette contenance c’est ce qui permet de créer les conditions d’une représentation et d’une élaboration chez le patient et autorise la fonction interprétante du thérapeute. Les « actes symptômes » du patient nécessitent qu’en contre-point soit posé un acte thérapeutique comme point d’incarnation, d’ancrage et d’étayage potentiel d’un processus de transformation psychique. C’est là un point de vue économique au sens d’une métapsychologie freudienne. Cet acte est clairement signalé par le référent psychiatre qui dans le cadre d’un contrat de soins sera à même de poser des limites, d’exprimer des exigences, de contenir des processus pulsionnels.

Fonction de pare-excitation clinique et/ou chimique, hospitalisation, appel au juge et à l’éducateur, proposition d’internats médicopsychopédagogiques.

 

L’acte thérapeutique, bien tempéré, où s’agit un peu de des affects contretransférentiels, loin d’être une contrainte arbitraire, produit souvent un effet de soulagement pour l’adolescent qui se sentant investi et « tenu » (holding de Winnicott), peut par petites quantités, disposer de cette énergie dégagée et susceptible d’être réinvestie dans un travail psychique avec le psychothérapeute.

Pour ce faire, un premier temps de traitement assuré par le psychiatre référent permet de concevoir une modalité de fonctionnement qui fasse intervenir la notion de limites jusqu’à l’introjection par le patient de mécanismes psychiques de pare-excitation pour réguler et contenir la massivité et la brutalité d’excitations traumatiques (restaurer puis étayer le système de pare-excitation du sujet, constitutionnellement fragile, et abrasé par les effets des symptômes).

Ceci sous-tend la capacité pour le psychiatre référent d’être un objet contre lequel va pouvoir s’exercer la violence psychique sans risque de destruction et (plus difficile) d’être un objet sur lequel va se porter un investissement massif et brutal, avec des évitements successifs et des projections variantes, sans que se dessine avant longtemps un véritable mouvement transférentiel. Tout ceci sur une durée relativement longue et dans un cadre néo-contenant à la fois souple et limitant toujours à bâtir pour le thérapeute jusqu’à son intégration psychique par le patient.

Cette contenance n’est pas une contention puisque son objectif essentiel  n’est pas l’entrave mais bien la liberté du patient. En effet, grâce à la contenance, la tolérance intrapsychique des affects permet de meilleures capacités de représentation, de meilleures relations objectales (moins impulsives, sensitives, agressives) et le développement des capacités à investir.

Ce qui entrave la liberté du patient est la contrainte symptomatique (avec sa fonction autothérapeutique et sa dimension de jouissance perverse et avec ses différents verrouillages biopsychosociaux), plus que la contrainte externe instituée par le contrat et dont on perçoit dès lors sa fonction de contrepoids. Ce qui entrave la fonction réflexive du thérapeute c’est la grande sensibilité à cet âge à l’éclaircissement des problématiques et le facile recours au passage à l’acte dont la fonction est la décharge et l’arrêt du travail psychothérapeutique désorganisant. En d’autres termes : il convient de créer par le contrat de soins des conditions d’un espace thérapeutique, contenant une économie psychique en déséquilibre, permettant un commerce acceptable avec des objets internes et externes, afin de permettre progressivement l’accès au sens.

 

Le contrat est aussi pare-excitant et protecteur pour le thérapeute. Il permet d’éviter les deux écueils massifs dans la prise en charge d’adolescent (avidité, transfert massif et brutal ; problématique de dépendance-autonomie, rencontre identificatoire) : la séduction = attirer à soi et l’éducation = attirer à l’extérieur.

Il évite le « trop près » qui détruit l’aire d’illusion où peuvent se déployer les projections fantasmatiques. L’illusion n’est pas la tromperie, mais la générosité dans la proximité qu’on s’accorde avec la « folie » du patient. L’interpréter trop rapidement c’est l’annuler et le processus créatif avec.

Il évite le « trop loin » avec ses rationalisations techniques, éducatives, voire morales à distance des affects et des éprouvés, avec l’infiltration inéluctable du sentiment d’incompréhension et d’emprise accentuant le désarroi du patient, voire les sentiments de lâchage et d’abandon de l’enfant livré aux répugnances œdipiennes ou du psychotique déprimé qui entre dans le retrait.

Contenir et tenir pour témoigner du souci que l’on a pour le patient doit se faire à distance du maîtrisé.

Pour ce faire la discussion des modalités du contrat dans une négociation âpre mais ludique  est fondamentale : engagement, souplesse et contenance moins sur le fond que sur la forme ; explication et clarification ; confidentialité assurée ; intuition sans intrusion permettant au patient d’entendre quelqu’un lui poser les questions qu’il était seul jusqu’à présent à se poser à lui-même.

Le contrat délimite l’espace de discussion-négociation-manipulation (game) où les questions ne sont pas qui décide ? qui est le maître ? Mais sur quoi pouvons nous nous accorder ? Puis dans l’optimum il peut devenir l’espace de jeu (playing) ou dans la rencontre identificatoire acceptée des jeux de rôles sont possibles avec changement de rôle avec le thérapeute jusqu’à ce que le patient introjecte la nécessité de s’occuper de lui.

 

Le contrat est le tiers entre le patient et le thérapeute qui peuvent s’y référer en cas de litige. Un tiers différenciateur évitant la confusion ou l’emprise de l’épreuve duelle = « Si il y a trois, si il y a tiers, alors il y a possibilité de justice » (Levinas E.) (14). Ce cadre ne peut être intangible (il serait alors vécu comme persécuteur) ni complice des circonvolutions évolutives (il ne serait plus contenant). Sa souplesse visera l’adéquation de la réalité externe mais aussi interne du patient avec le nécessaire maintien d’une cohérence et d’une constance des soins.

 

Le contrat ne doit pas être trop lâche, voire laxiste, il doit contenir la pulsionnalité, aussi la limite et la pulsionnalité doivent avoir la même densité.

Il ne peut être l’objet de changements répétitifs puisque le « respect du contrat par le thérapeute et le premier témoignage de la fiabilité de l’objet » (P. Jeammet (11)).

Il ne doit pas être trop rigide, synonyme d’emprise et d’arbitraire, et doit pouvoir survivre à quelques transgressions.

 

Maintenir le contrat malgré une recrudescence symptomatique (un épisode aigu ou une TS qui impliquent une hospitalisation), ce n’est pas être laxiste. C’est tolérer l’immaturité du patient en se rappelant qu’il n’y a pas d’égalité dans les devoirs entre les deux contractants ne serait ce que parce que le psychothérapeute risque toujours moins que le patient. C’est surtout prendre acte de la violence interne et des formes d’expression de l’adolescent, et poser une parole active en contrepoint de cet acte qui puisse favoriser chez lui associativement une réappropriation subjective de son acte. Parfois la question est plus l’impossibilité pour un patient de s’écarter du contrat que de le transgresser avec ce que ça laisse présager du poids  des contraintes internes.

Maintenir le contrat et accepter le conflit lié à ce maintien dans ce que Hochmann (10) appelle « Une réalité partagée » où il souligne l’importance « des rythmes présence-absence, dedans-dehors et des frustrations qu’ils entraînent, nécessaire à la mobilisation de l’activité psychique des patients».

 

Le contrat est, in fine, la référence tierce qui permet le travail thérapeutique dans un rapproché suffisamment sécure.

Cette fonction tierce est à référer à l’autorité paternelle contenante si souvent défaillante dans ces pathologies. L’espace que constitue la psychothérapie ou l’institution c’est le corps imaginaire de la mère. Protéger le contrat, c’est protéger le tiers, c’est à dire le père dans la triangulation œdipienne. Le contrat introduit la règle, la loi, la métaphore paternelle (Lacan) pour séparer l’adolescent du corps et de la pensée maternelle.

Ce dégagement de la relation symbiotique d’avec la mère ; cette introjection d’un surmoi suffisamment contenant créent des conditions de sécurité narcissiques dans un espace transitionnel permettant l’accès à la symbolisation et à l’élaboration.

 

Puis surviendront, dans le meilleur des cas, des interventions structurantes du thérapeute à des moments clés de l’évolution du traitement, rejouant des situations où l’environnement avait été défaillant. Le thérapeute aidera alors au développement de modes de relation nouveaux, où il pourra se passer quelques chose qui n’avait pas eu lieu d’être, et qui pourra générer des éprouvés cicatrisant les berges d’un non-advenu. L’internalisation de modalités nouvelles de relation avec l’objet, dans le cadre transférentiel, pourra créer les conditions d’une pare-excitation des motions pulsionnelles du sujet. Ces interventions ne pourront être créatrices qu’après l’instauration d’un espace transitionnel sécure.

 

 

Contrat et phénomène transitionnel : l’accès à la symbolisation

 

Notons que cette notion de transitionnalité n’est d’invidualisation que relativement récente et a connu un tel succès que l’on peut dire qu’elle est tombée dans le domaine public, se vulgarisant jusqu’à perdre de sa substance. Ce succès et cette expansion semblent comme répondre à un besoin dans des sociétés plus violentes ou les interfaces communautaires et les rituels d’intégration ont été perdus ou se sont estompés et laisse augurer qu’il faudrait les retrouver dans les espaces et les rituels de soin.

Rappelons que D. Winnicott a parlé de phénomène (phaenomènon : « ce qui apparaît ») transitionnel plus que d’objet ou d’espace transitionnel (18).

A sa suite nous pouvons considérer le contrat de soins, moins comme un objet au statut déterminé dans un espace temps, que comme un phénomène c’est à dire un « processus » tiers appartenant à l’espace interne et à l’espace externe, (en les liant à travers lui) issu à la fois du registre de l’illusion et de la conviction, du fait même de sa convocation de ces deux espaces.

Le contrat est l’illusion transitionnelle d’une croyance commune. Il repose sur un crédit de confiance accordé dans le cadre transféro-contretransférentiel. Ce n’est pas un contrat d’assurance ou de notaire c’est à dire un contrat objectif. Il pose la subjectivité au fondement de la relation de soins. Autrement dit, sans le négliger, il ne travaille pas de manière univoque sur le symptôme « ici et maintenant », mais bien plutôt sur le désir, désir enfermé dans le symptôme et désir de se soigner c’est à dire de parvenir à un autre équilibre.

Illusion ; croyance, voilà de quoi alimenter la polémique sur le marché de dupes. Mais l’illusion n’est pas l’opposé de la réalité et l’exactitude est ce qu’il y a de plus éloigné de la vérité (Baudrillard). L’illusion est ce qu’il y a de plus proche du désir et de la réalité interne. L’illusion permet pour reprendre une expression de R. Roussillon « la précipitation fantasmatique » qui surgit de l’ambiguité :  « le soin a-t-il commencé » (16).

La valeur régulatrice est suspendue à l’indécidabilité de cette question ». Toute interprétation psychanalytique est alors bannie de ce type de soins et même considéré par Roussillon (16) comme « détransitionnalisante », persécutrice, « surtout lorsqu’elle ne peut arriver par sa forme ou par son fond, à respecter l’ambiguïté organisatrice des fonctionnements psychiques interstitiels, lorsqu’elle démasque trop crûment un processus ou un déni qu’il était encore nécessaire de maintenir « au secret », de respecter.

Maintenir l’illusion n’a pas de visée manichéenne de duper le patient. Elle est le moteur pour favoriser le passage de la croyance à la connaissance.

 

Le contrat : élément pour le diagnostic :

Le possible déploiement d’un phénomène transitionnel dans un cadre de soins dépend du thérapeute [son engagement et sa distance] et du patient [sentiment de fiabilité ou de carence de l’objet interne et externe].

Si le phénomène apparaît, il témoigne que le patient va suffisamment bien (présence et qualité suffisamment bonne de l’objet interne). L’exemple type est le patient dans une structuration névrotique avec un investissement œdipien du thérapeute qui va nourrir le triatement. Alors les différentes figures de ce phénomène transitionnel se déploient chez le patient dans : ses croyances, ses engagements, ses actes et ses créations, sa quête de sens à donner à sa vie, sa place retrouvée, repérée, dans la société et dans la famille.

Si le patient se situe dans d’autres structurations psychiques, le contrat sera rejeté (psychopathie) ou l’objet de distorsion fétichique et de pervertisation (addictions), ou encore de distorsion délirante (psychose).

Au total, le contrat nous renseigne sur : la structuration psychique du patient, la carence des réponses environnementales, les contraintes de configuration symboliques du patient. Ce renseignement reste pour autant indicatif, il ne peut nous laisser présager des surprises de la relance de la transitionnalité.

 

Aléas de la relance de la transitionnalité :

Il ne s’agit pas d’imposer un espace transitionnel au patient, contresens complet du paradoxe de Winnicott, l’objet créé/trouvé, mais de proposer un cadre thérapeutique à la fois spatial et temporel qui crée les conditions d’émergence d’un espace transitionnel.

P. Jeammet (11) a souligné les arguments métapsychologiques de la contrainte thérapeutique externe qui offre à l’appareil psychique du sujet « une extraordinaire potentialité libératrice en opérant un travail de décondensation et de différenciation. Le danger et la peur redeviennent externes, offrant de nouvelles possibilités de représentation du conflit et permettant à l’appareil psychique de rejouer son rôle. Les mécanismes de projection, de déplacement, de dénégation auparavant considérablement obérés, retrouvent un rôle économique et c’est tout un espace nouveau de fonctionnement qui se trouve ouvert rendant possible la création de nouveaux investissements ».

Fort de cette libération avec la revitalisation des mouvements œdipiens et de restauration narcissique, le contrat peut jouer sur la dialectique illusion-désillusion et son corollaire, la dialectique présence-absence du soignant, favorisant la reprise des phénomènes transitionnels.  L’espace thérapeutique rencontre l’espace intime de la patiente avec le risque permanent d’envahissement par l’angoisse de séparation et/ou de persécution aboutissant au renforcement du symptôme, au maintien du vide conformiste du « faux-self », à la fétichisation de la créativité. Si le patient participe avec plaisir aux « trouvailles » des entretiens, il importe alors de respecter le postulat de Winnicott, ne pas demander au patient d’où vient l’objet, surtout ne pas l’interroger sur le plaisir qu’il prend et encore moins avec qui.

La relance de la transitionnalité signe l’amorce d’une amélioration psychique du patient qui prend initialement, une tonalité dépressive. La reprise des investissements liée à un mouvement dépressif témoigne d’une reprise des activités transitionnelles et s’accompagne de l’attaque du contrat où le patient éprouve son omnipotence tout en annonçant le début du renoncement au symptôme. Ces attaques doivent être comprises avec Winnicott comme des moyens d’utilisation de l’objet. Le cadre doit survivre aux attaques du patient en veillant à ses contre-attitudes sans modifier le contrat et de ce fait, proposer un  surmoi plus rassurant et souple, un idéal du moi plus accessible.

L’espace transitionnel est l’espace-temps qui tamponne et régule les passages du « milieu du dehors » et du « milieu du dedans », il en a la richesse, mais il peut en reproduire aussi les avatars, c’est à dire la fétichisation de l’espace potentiel, maintenu sous emprise par le patient.

 

 

CONTRAT ET FIDÉLITÉ FILIALE

 

Quelques évidences pour commencer.

L’établissement du contrat de soin implique toujours la famille, qui est partie prenante dans son acceptation plus ou moins ambivalente, qu’il faut savoir non dénoncer cruement mais repérer et intégrer à la compréhension de ce qui se gère dans la dynamique familiale autour de la symptomatologie de l’adolescent. A ce titre on doit toujours avoir à l’esprit qu’il existe toujours peu ou prou un second contrat, familial entre l’adolescent et ses parents, qui pervertit plus ou moins le premier et qui aggrave la confusion du patient.

Quand les relations entre le patient et sa famille sont marquées par une carence, un trop plein d’excitation ou une ambivalence qui ont altéré les processus de communication, la fonction première du contrat est de colmater cette carence, de soulager l’ambivalence, de contenir l’excitation.

Le contrat crée les conditions de séparation d’avec la famille et le milieu naturel antérieur décidé par un tiers. Tout symptôme visant peu ou prou l’entourage est l’objet d’un vécu agressif et angoissant de la part de la famille. Le contrat contribue à atténuer ses effets (soulagement accepté de la famille) ou se montre insuffisant à contrôler une fascination morbide ou une complicité masochique plus ou moins inconsciente.

Dans le contrat de soins avec l’adolescent il est inclus tacitement que l’on va traiter les parents « par procuration » (D. Winnicott) (19).

Toute prise en charge d’adolescent crée le fantasme (parfois fondé) que le diagnostic dévoilerait un secret familial ou confirmerait une parenté morbide de l’adolescent avec l’un des parent, une parenté d’autant plus angoissante qu’inconsciente, mais ressentie comme productive, vivante, constitutive. Dans quelle mesure la famille partage ce fantasme ? Et comment le thérapeute va-t-il gérer le secret et la confidentialité dans le cadre d’un contrat de soins que l’on exige plus ouvert ? Voilà une question que nous allons développer car elle nous semble omniprésente lors de l’établissement d’un contrat de soin et que sa gestion suffisamment bonne conditionne le maintien du processus thérapeutique.

 

La révélation du diagnostic est toujours une parole identifiante ; surtout dans un cadre transférentiel contre-transférentiel avec un adolescent, où se joue une véritable rencontre identificatoire (E. Kestemberg [13]), mais ici elle touche bien plus profondément les aspects transgénérationnels de l’identification avec la quête originaire d’une identité qui se trouve déterminée par ce qui est rejeté dans l’histoire des parents.

Que faire dès lors ? Céder à la tentation trompeuse de la transparence et discuter le diagnostic avec l’adolescent et sa famille. Respecter les dogmes que véhicule la notion de secret médical et surenchérir dans l’énigme. Il faut travailler la demande et la laisser l’élaborer plus que de la figer dans un diagnostic, source de gel d’une dynamique potentiellement évolutive et d’aliénation. Rappelons que sur une « structure ouverte » telle que celle de l’adolescence, un diagnostic structurel n’a pas beaucoup de sens, mais peut avoir beaucoup d’effets, l’adolescent pouvant « justifier » le sentiment qu’on a de lui, ne serait-ce que pour perpétuer une relation.

Il ne s’agit pas durant le travail psychothérapeutique d’affirmer un lien univoque et direct entre la nature du secret et la psychopathologie du patient, mais de s’appuyer sur la manière que peut avoir le patient et sa famille de s’organiser autour d’un secret source de stimulations fantasmatiques.

Le travail constitue dans un premier temps à canaliser la demande en prenant soin d’éviter deux écueils : des spéculations diagnostiques dévoilant le secret familial avec le risque d’aliénation de l’adolescent à une fatalité tragique ; l’absence de réponses à des questions directes signant l’appartenance du thérapeute à la « communauté de déni » que constituait la famille et donnant le sentiment au patient d’être sous l’emprise d’une « communauté du savoir » la manipulant.

C’est le rythme imposé par l’adolescent dans le contexte transférentiel qui  au mieux permet le travail sur la fantasmatique générée par le blanc du non-dit, l’absence épaisse du secret.

L’espace psychothérapeutique, avec sa règle intangible de confidentialité,  joue le rôle d’un auxiliaire de son espace intérieur où appui et contenant permettant à sa psyché d’affronter la singularité de sa filiation.

Dans cet espace thérapeutique, il s’agit bien, avec le patient, de poser ensemble « un diagnostic » sur une souffrance, en lieu et place d’un dévoilement non fait du secret, afin que celui-ci n’alimente plus une symptomatologie morbide.

Ce diagnostic prend en compte plus que le contenu du secret, ses origines et ses effets fantasmatiques. Il ne se laisse pas fasciner par la spectacularité du contenu, qu’il sait souvent connu et même compris par le patient, et en définitive peu masqué par son entourage. Le secret n’est en soi qu’une opportunité qui révèle essentiellement la fragilité de ceux qui s’en saisissent et réifient pour organiser fantasmatiquement autour une trame symptomatique serrée faisant office de lien. Pourquoi ce besoin impérieux de faire lien autour de secret ? Parce que secret ne veut pas uniquement dire dissimulation (étymologie grecque), il veut dire aussi séparation et dissociation (étymologie latine) et intériorité de la maison (étymologie allemande Geheimnos) c’est à dire objet interne constitutif. Il est ainsi par son caractère énigmatique un objet qui capte puis fascine puis aliène ; par son caractère hermétique un processus d’exclusion (mis au secret) et par son lien à l’originaire un manque ou un vide constitutif.

La relation thérapeutique se fonde sur le désir de travailler avec le patient sa « construction diagnostique », plutôt que de lui opposer un contre-diagnostic, et selon les aléas du transfert, de lier cette construction à sa quête originaire. Cette construction nous semble en effet être ce qui s’interpose douloureusement entre le sujet et lui-même. Cette construction a une place et une fonction qu’il faut savoir respecter et tolérer, mais aussi pénétrer et critiquer : faire se représenter l’idée d’une distance métaphorique à soi et comprendre que, si la métaphore n’est pas l’énigme, elle est la solution de l’énigme (P. Ricœur).

 

 

QUE PROMET LE CONTRAT DE SOIN ?

CONFRONTATION DES APPROCHES COMPORTEMENTALES ET PSYCHANALYTIQUES.

 

Le courant cognitiviste considère que la thérapie analytique est dangereuse dans les cas « où le conflit n’est pas intrapsychique, mais entre l’individu et le monde extérieur, soit extrapsychique [sic] » et qu’au lieu d’essayer d’identifier et d’interpréter les conflits inconscients, il faudrait « accroître chez ces patientes la prise de conscience de l’inaccessibilité de leurs pensées inconscientes » (Taylor) (17).

N’accordant pas aux adolescents une vie psychique inconsciente qui puisse être motrice dans la genèse des symptômes, ou considérant qu’elle leur est inaccessible ou pensant qu’elle ne pourrait porter que sur le registre œdipien, et s’avérerait impossible ou trop risquée sur des éléments archaïques prégénitaux. (Comme si les éléments œdipiens et archaïques ne se soutenaient pas l’un l’autre. Un œdipe flambant peut être colmaté par un repli archaïque, un abandonnisme se nourrir des conflits œdipiens), ils recommandent pour traitement des techniques pragmatiques perceptuelles plutôt que des techniques introspectives. Donc pour aider le sujet à communiquer, on l’éduquerait avec un langage réduit à sa fonction transactionnelle économique. En tout état de cause, on tend à le considérer plus comme un enfant à éduquer, q’un jeune adulte à écouter.

Quel fantasme fait penser que la psychanalyse se pratique ainsi sur le mode de la suggestion (marché de dupes) ou dans un bombardement interprétatif ? Nous insistons sur le long  temps de holding (empathie et compréhension) nécessaire et sur le besoin d’aménagement du cadre avant de se risquer à des interprétations qui sans cela auraient en effet une action traumatique plus que mutative.

Il y a, dans tout symptôme quelques chose qui s’apparente à une technique de survie visant à préserver l’identité du sujet du fait de sa trop grande avidité objectale. La réponse appropriée nous semble être la fonction contenante et liante de l’environnement. Le rôle premier essentiel de l’objet-thérapeute est celui de pare-excitation tant que le recours aux symptômes est la norme ; objet-thérapeute qui ne renonce pas à pouvoir être sujet pour le patient. Pour autant, le contrat privilégie toujours la dimension pare-excitante à la dimension identificatoire ou interprétative ne serait ce que pour permettre dans le calme, les conditions d’une pensée du thérapeute et d’une écoute du patient. Le thérapeute doit faire face dans l’organisation du contrat de soin à cette inévitable aporie = « celle de ne pas jouer son jeu, tout en le jouant aussi longtemps que nécessaire » (R. Cahn) (1) ; dire qu’il contient sans rejeter en attendant de comprendre et de restituer. Plus tard le thérapeute sera toujours attentif à respecter parfois certaines zones trop douloureuses, et surtout veiller à ne pas prendre trop de place dans la vie d’un patient dépendant en ne se référant pas systématiquement à la problématique transférentielle.

 

Précisons que ces temps et ces aménagements protègent le thérapeute d’interprétations sauvages dans un contre-transfert mal maîtrisé et lui permettent dans l’hésitation d’être créatif [Représentation d’attente avant l’interprétation]. Nous insisterons de plus sur l’importance de différencier des temps de traitement différents en fonction des moments symptomatiques. Ainsi il est clair qu’un état aigu symptomatique n’est pas accessible à une démarche introspective qui ne peut qu’accentuer la symptomatologie défensive.

Il y aurait un risque selon ces auteurs que ces patients ne se conforment à des interprétations ou à des reformulations donnant un sens symbolique à leur expérience, redupliquant le phénomène d’emprise sur le psyché, connu dans l’enfance. Cela est tout à fait juste si un travail de préparation est éludé. Mais il nous apparaît aussi clair qu’une approche cognitive et comportementale prévalante présente tout autant ces risques lors de propositions de schèmes de pensée positive. Surtout elle peut constituer un « processus déformé de guérison », pour reprendre une expression de Freud, dans un renoncement à l’exploration du monde interne du patient et de son poids dans les interactions fantasmatiques avec son environnement. Elle peut aussi de par « la dissociation aiguë de la réalité intérieure », devenir complice du faux-self du patient et perpétuer sa pathologie. Favoriser en particulier le frayage psychosomatique puisque toute psychisation autre qu’opératoire est récusée et que le thérapeute est plus investi comme fonction que comme objet et a fortiori que comme personne.

La dimension de carence et d’absence de souci de l’autre dont les patients ont souffert et continuent de souffrir ne semble pas être évoquée par ces auteurs dont l’attitude thérapeutique dès lors confine à l’abandon. Nous voyons là, sous couvert d’approche contractuelle, scientifique, gestionnaire au coup par coup et sans perspectives, et dans un contexte moral compassionnel (le déni leur sauve la vie), la manifestation pour le moins d’une paresse ou d’un évitement phobique d’une relation de proximité avec le patient, voire d’une indifférence, c’est-à-dire là encore ce qui nous semble justement à même d’entretenir ou d’aggraver des conduites dont la fonction essentielle consiste à se faire désinvestir en attaquant le contrat de soin pour échapper aux contraintes pulsionnelles internes et à celles de la sollicitation objectale.

Nous voyons dans ces approches une solution de facilité, dont l’acceptation trop rapide de la part de la famille, voire du patient, institue médicalement le deni de la vie psychique, et participe à amputer le patient de ses sources de vie.

Cette approche nous semble peut-être témoigner soit d’une construction théorique soulageant l’incapacité du thérapeute à satisfaire les besoins du patient, soit plus profondément que les tenants de ces approches hésitent à s’engager pour éviter d’avoir à se confronter et à penser de manière coupable des affects de haine et des désirs de meurtre vis-à-vis de leurs patients. Or il nous semble particulièrement important (cf. Kernberg) dans des registres pathologiques (narcissique-borderline) de répondre, de manière tempérée, mais de répondre tout de même dans le contre-transfert par une « haine habilement dosée » (Winnicott) qui peut avoir une valeur mutative. Cette « haine » que l’enfant peut sentir s’exercer sur lui lorsqu’on répond à sa demande de manière « suffisamment » bonne.

Cette « haine » est en réponse à des éléments projectifs ou au sentiment d’impuissance auquel nous confronte la résistance de ces patients. Accepter d’être le réceptacle passif est bien évidemment impossible et délétère pour le patient. Répondre par des contre-atttitudes non élaborées est dramatique. Rencontrer le patient dans sa haine et y répondre par une « empathie négative » (Gillibert), c’est-à-dire accepter sa négativité qui n’est pas un négativisme devient intéressant.

Cette approche nous paraît être infiltrée à la fois de maîtrise (on présage sur une évaluation brève d’un patient, avec des techniques d’analyse des données, en s’appuyant sur des résultats généraux issus de l’observation de nombreux patients dans « le même registre » d’un défaut de mentalisation ou de capacités d’élaboration) et de l’idée de ne pas entraver « la liberté » d’un patient (sans considérer que cette pseudo-liberté l’aliène dans une fatalité narcissique). Or l’approche psychanalytique (institutionnelle avec le contrat de soins ; ou individuelle avec le cadre de la cure) n’hésite pas à instaurer avec le patient des conditions limitantes, vécues invariablement dans un premier temps comme persécutrices, pour mieux les élaborer. Le cadre soignant promu ne répond pas à une quelconque idéologie, il est utilisé à l’appui de l’expérience clinique pour obliger le patient à investir autre chose que le symptome en s’offrant comme garant (obligé) de la possibilité d’autres investissements, pour une grande part contre-investis par le patient plus qu’inexistants. Sa fonction tiers évitant l’emprise (même dans les aspects léonins de sa prescription) transcende son vécu persécutif temporaire.

Il y a dans « je préfère ne pas » une dénégation à entendre, c’est-à-dire une pensée et un corps qui se nourrit de l’opposition, à défaut de ; il y a dans l’inhibition à penser, une envie à comprendre. Proposer un moi auxiliaire, c’est éviter une réponse en miroir qui n’entendrait pas le double langage et confirmerait au sujet une image de soi à ce point terrorisante qu’aucun adulte ne se risquerait à l’aborder. Tout dépend donc en effet de ce que l’on perçoit et de la manière dont on le comprend.

S’il n’y a pas de lecture facile par le sujet de ce qui le trouble, il y a pour autant communication d’un affect. La communication de l’affect c’est celle de la désorganisation du fait émotionnel et le sens de cette communication c’est le vécu d’ébranlement du sens. Et ceci chez le patient comme chez le thérapeute. En effet le « Babel des silences et des mots » du patient fait surgir l’émotion, l’ébranlement du sens chez l’analyste. Ainsi, s’accorder une certaine proximité avec ces patients, c’est admettre le décalogue en vigueur chez eux, qui génère un idiolecte singulier (c’est-à-dire un discours au sens analytique et pas un langage au sens cognitif), singulier par son abondance et sa crudité (cache-misère du vide), singulier aussi par son rythme, syntone à la discontinuité et l’imprévisibilité du lien qui les a nourris.

Pour autant les approches psycho-éducatives ne sont pas à exclure. Ce qui est à éviter, c’est leur « idéologie physicaliste » (Fedida (1999) (5). Chez certains patients dans une impasse développementale, la technique introspective bute sur l’arrêt du développement et accentue le désarroi du patient.

Surtout, ces approches disent, à leur manière, la nécessité première de fournir un contenant à ces patients et le danger psychique et somatique d’intrusion-effraction psychique et corporelle d’interprétations non transportées par un contenant transférentiel suffisamment solide. Il nous faut toujours avoir présent à l’esprit que l’amélioration du patient passera par la rupture d’un investissement (aliénant et invalidant) qui avait un rôle dans son équilibre psychique et dans ses modalités de régulation.

C’est pourquoi, nous n’hésitons pas lors du suivi de certains patients à soutenir les investissements, tels qu’ils se présentent, même si nous les considérons comme « vicieux » et délétères. Mais nous nous évertuons à ne pas altérer nos capacités de rêverie, et à ne pas déserter le monde psychique du patient pour favoriser « la création de formations psychiques intermédiaires » (Green (1997) (8). Rêves, fantasmes, jeu « source de rapport à soi et à l’objet » permettent d’éviter les courts-circuits que sont les passages à l’acte.

Nous concevons une approche qui fasse appel aux sources de créativité interne d’adolescents.

Si nous ne gardons pas cette attention permanente à découvrir les potentialités, quel que soit le « dialecte » utilisé, et à percevoir les contre-investissements défensifs nous risquons d’être pris dans des champs relationnels de pouvoir, ceux-là même qu’elles ont subis et qu’elles sollicitent.

 

 

LA QUESTION DE LA CHIMIOTHERAPIE

 

La prescription médicamenteuse constitue un appoint thérapeutique essentiel dans la prise en charge globale certains troubles de « l'adolescent difficile ».

Face à des tableaux cliniques de dépressivité, d'anticipation dépressive, de lutte symptomatique contre la dépression, ou de problématique dépressive en voie d'élaboration, la prescription médicamenteuse peut être différée en tenant compte de la bonne réponse du patient à une psychothérapie de soutien et d'étayage. Il en est de même face à des symptômes peu invalidants qu’ils soient du registre hystérique ou obsessionnel, que l’on comprend comme des aménagements défensifs en compromis avec une pulsionnalité vive, qu’on attend d’évaluer en particulier dans leur potentialité d’autorenforcement réorganisant la personnalité autour d’eux et à risque d’installation dans la chronicité.

Dans ces cas, il faut éviter que le médicament n'abrase ou n'empêche un travail de deuil, riche de perspective d’élaboration de sa problématique interne. L'amélioration symptomatique observée avec une prescription opératoire et rapide, risque de se faire au prix d'une amputation de potentialités d'équilibres nouveaux qu'aurait pu octroyer la conflictualité psychique.

Les symptômes névrotiques et les menaces dépressives sont à cet âge un médiateur de la relation avec l'entourage et le thérapeute qu'il convient de respecter si on veut qu'un échange s'opère.

Le sentiment d'une "gangue dépressive" entravant tout contact, d'un déni des difficultés (défenses hypomaniaques), ou l'existence franche d'une symptomatologie clinique (ralentissement psychomoteur, difficultés de concentration et d'attention avec retentissement scolaire, anorexie, asthénie, insomnie) a fortiori avec des éléments symptomatiques de la lignée mélancolique, rendent nécessaire et souhaitable la prescription médicamenteuse. Enfin, la massivité même des réponses affectives de l'adolescent aux événements ou à leur anticipation [la rapidité et l'ampleur de la réponse biologique à l'activation psychologique jouent ici, très certainement, un rôle non négligeable] invite à une prescription chimiothérapeutique. Il en est de même pour les symptômes névrotiques phobiques et obsessionnels massifs et invalidants.

 

Soulignons ici :

Ÿ L’importance de l'effet placebo à l’adolescence (ce qui en dit long selon nous sur le rapport entre le résultat thérapeutique positif et le registre psychopathologique du patient).

Ÿ Que  « ce qui distingue réellement un effet thérapeutique d’un effet toxique d’un psychotrope n’est pas l’action de la substance, mais plutôt l’intention du médecin ou du patient » (Cohen et al 2000) (3).

Ÿ Qu’il y a une très mauvaise tolérance  du jeune patient aux effets secondaires, avec un risque  rapide d'arrêt, sans concertation préalable avec le médecin, voire un risque de rupture des soins. Quand ce n’est pas le cas, la « gestion » des effets secondaires est toujours délicate et instructive. Ceux-ci peuvent être liés à la fois à une sensibilité biologique personnelle, à une propension à « utiliser » l’effet secondaire [( ré-appropriation  subjective) pour l’intégrer dans le message symptomatique (plainte, besoin régressif, expression de la confusion) (…) ] mais aussi à une véritable mise à l’épreuve du médecin quant à sa conviction de l’utilité du médicament et à une manifestation d’une résistance du patient face à l’emprise psychique du médecin via le médicament.

Ÿ L’utilisation souvent incohérente de la prescription, en fonction des éprouvés du patient mais aussi du poids de l'avis des parents et des proches quant à la prescription.

 

Ainsi, le travail d'explication de la prescription chimiothérapeutique, auprès de l'Adolescent et de sa famille est fondamental. Il faut éviter qu'une réponse médicamenteuse par trop automatique n'aggrave le désarroi d'un patient se sentant incompris dans la réponse apportée à sa souffrance psychologique ; ou contrôlé biologiquement par une molécule « impersonnelle ou indifférente  à l’action aveugle» (A. Jeanneau) (12) ; ou encore un contrôlé par une molécule vecteur de l’influence du thérapeute, véritable cheval de Troie du thérapeute inclus dans le fonctionnement psychique de l’adolescent.

Mais à contrario, laisser le patient sans pare-excitation chimique et en proie aux motions pulsionnelles libres impersonnelles a tout autant un caractère désorganisant. Cette phase explicative constitue de ce fait le meilleur élément de prévention d'une mauvaise compliance au traitement évitant un arrêt brutal ou l'émergence d'effets secondaires témoignant d'un rejet psychologique. Associé à l’explication, il y a le sens donné à la prescription ; en particulier apaiser le fantasme d’emprise en soulignant que le traitement médicamenteux a pour fonction essentielle de libérer les capacités du patient, ses ressources internes, pour qu’il puisse faire face à la situation. En tout état de cause, le cadre thérapeutique est toujours massivement investi par l’adolescent et le sens qu’il donne à la rencontre va toujours ailleurs et au-delà de ce que le thérapeute veut ou peut y mettre.

 

Un débat encore très actuel oppose les psychothérapeutes et les psychiatres prescripteurs sur les effets appréhendés des psychotropes sur le déroulement de la psychothérapie. Plusieurs questions en effet se posent :

- Quelles sont les modalités d’investissement de « l’objet médicament " » par le patient et sa famille ?

- Quelle part est imputable aux médicaments dans la modification des symptômes sur lequel travaille le psychothérapeute ? Cette deuxième question est sous-tendue par d’autres questions. Quel est le niveau de vigilance-conscience du patient sous traitement et quelle difficulté d’interprétation des oublis et des résistances (refoulement ou sédation) apparaissent ?  L’altération du sommeil paradoxal et des capacités et des modalités de rêveries sans compter la modification des fantasmes (par modification de l’intensité pulsionnelle) n’obère-t-elle pas le travail psychanalytique ? Que faire de la ré-appropriation subjective des effets secondaires du traitement par le patient ?

- Plus problématique est la donnée suivante : J. Guyotat (1972) (9) souligne l'antinomie apparente de la psychothérapie et de la chimiothérapie : « le travail psychothérapeutique passe par la régression du patient, et instaure une dépendance souvent douloureuse à son égard, tandis que la chimiothérapie de la dépression peut faire tendre à la reconquête magique de la toute puissance aux dépens de ce même psychothérapeute... On observe souvent que l'arrêt de l'un ou de l'autre de ces deux traitements entraîne une amélioration symptomatique comme si se faisant, on avait arrêté la contradiction source de persécution interne ». Cet auteur précise que les antidépresseurs en restaurant l'économie narcissique du patient, induisent chez lui un mouvement œdipien (mise en scène œdipienne) qui va être camouflé ou « scénarisé » par le rituel médicamenteux. Chez des sujets fragilisés (psychotiques) il n'y a pas d'imprégnation de ce mouvement œdipien ce qui est à l'origine d'un vécu de relation d'objet narcissique, d'emprise mal vécue avec un sentiment de dette pouvant favoriser des mouvements dépressifs par échecs répétés de la mise en scène œdipienne. La même observation peut être faite, pour d’autres « agirs » du psychiatre référent en particulier, lorsqu’un travail d'accompagnement scolaire ou professionnel aboutit à un succès.

- Autre point extrêmement complexe : Les conditions d’expression d’une expérience intérieure, d’un éprouvé subjectif, toujours singulier, dépendent d’une pluralité de facteurs =  tempérament biologique ; impact traumatique d’un événement de vie ; qualité des assises narcissiques établies, niveau développemental, métacognition. Une évaluation de ces conditions et de leur mobilisation par le psychiatre référent est un préalable nécessaire à l’indication d’une psychothérapie et à la mise en route d’un traitement psychotrope.

Comment celui-ci évolue-t-il l’intensité des notions pulsionnelles et leurs possibles transformations en affects et représentations et comment entend-il les pare exciter sans annuler leur devenir ?

Ces expériences intérieures renvoient généralement dans les états limites où se recrutent beaucoup des adolescents dit « difficiles » à des contenus mentaux conflictuels et douloureux, voire à un trop plein d'excitation non mentalisable qui ne peuvent être contenus psychiquement chez les patients du fait d’un risque de dépersonnalisation dans une fusion maniaque avec l’objet de l’excitation. En d'autres termes, les patients à l'approche de la crise, ne sont pas vides mais bien au contraire "en proie" à une plénitude dangereuse (les conflits introjectifs réveillant la blessure narcissique) qui attaque leurs repères identitaires. Cette saturation émotionnelle brutale, incontrôlable, les oblige au « dévidage » des motions pulsionnelles libres susceptibles de détruire l’objet.

Ce vide est proportionnel dans son intensité au trop plein émotionnel, il est l'anesthésique psychique du sujet face à la douleur affective, son but est de permettre le retour au « confort moral » du sujet. Ce vide est donc généré par le sujet (faire le plein de vide) qui le « préfère » au trop plein des émotions, qui risquent de le confronter à sa dépendance. Ce vide est le non-sens soulageant l’ébranlement du sens ou l’impossibilité de lier et d’organiser les émotions dans un sens. L’ébranlement du sens est le témoin pour un sujet singulier dans une circonstance particulière de la supériorité du pulsionnel sur ses ressources psychiques. Aucun sens, aucun symbole ne peut s’accorder à l’éprouvé de tension pulsionnelle.

Cet ébranlement du sens étant vécu par le sujet comme un trop plein. Ce vide est recherché pour sa capacité à faire taire la psyché, à éviter des représentations. L’évidement du sens des émotions qui assaillent le sujet  rend l’angoisse informe, donc plus désorganisante, mais il rattache le sujet au vécu antérieur de négativation par l’objet. Il constitue un mécanisme pare-excitant, témoin d’un défaut de pare-excitation à l’image du défaut de pare-excitation maternel dans l’enfance. Les patients sont ainsi obligés de se vider de cette épine irritative (aspiration fusionnelle, fantasmatique incestueuse). Ils sont contraints de trouver un acte anti-éprouvé et anti-pensée qui passe par un agir perceptivo-moteur souvent douloureux, (une sensorialité apaisant une émotion )ou succombent au délire hystérique (le fantasme dépassant les défenses) ou s’enferment dans le labyrinthe des défenses obsessionnelles, ou encore se désorganisent de manière psychotique.

 

Ce développement vise à rappeler avec force qu’on ne peut considérer une psyché déconnectée de son support organique ; un sens déconnecté de l’intensité des affects « comme si affects et représentation étaient dissociables » (A.Jeanneau) (12). Le quantitatif c’est déjà du sens… jusqu’à l’ébranlement voire l’anarchie du sens chez un sujet dont la vulnérabilité à l’intensité et à la brutalité des affects entraîne un éprouvé subjectif singulier.

 

Diminuer l’intensité et la brutalité des affects soumis à un tempérament biologique singulier  par une prescription médicamenteuse c’est « ouvrir une possibilité dans le système affect-représentation… Engager une nouvelle série dans la succession associative ». Le médicament bien prescrit ne vise pas en « abrasant la pulsion à éteindre le conflit annuler une plainte, une idée, un comportement » (...),le médicament peut « avoir une action intelligente… libérant des valences toutes individuelles » (12). Le psychiatre référent au fait de l’approche psychanalytique peut s’abstenir de prescrire privilégiant l’étayage par l’environnement dans certains cas (défenses hystériques, obsessionnelles maniaques) ou prescrire (en accord tacite avec la psychothérapeute au fait du poids biologique) dans d’autres (confusion, obsessionnalisation massive, dépression majeure, délire psychotique), afin de lever la gangue dépressive, l’inhibition à penser, apaiser une confusion ou une surexcitation, sinon il n’y aurait pas de psychothérapie possible.

 

Le traitement chimiothérapeutique permet au sujet un "commerce acceptable avec ses objets" (12), même si celui-ci est plus sur un plan quantitatif que qualitatif. La psychothérapie aborde ce commerce sur un plan qualitatif mais au prix au début d'une obsessionnalisation douloureuse source d'angoisse, d'effondrement dépressif de risque de dépersonnalisation de décompensation délirante ou psychosomatique pouvant entraîner la rupture chez des sujets narcissiquement fragiles.

D'où l'importance d'un appoint thérapeutique mesuré, véritable pareexcitation chimique de l'incontrôlable pulsionnel soumis au ça impersonnel associé à un travail d'explication du cothérapeute concernant le vécu subjectif du patient. Celui-ci favorise l'idée qu'un conflit peut être vivable et structurant, plutôt qu'une régression dans un désir d'amour qui colmate mal l'agressivité ressentie à ce besoin blessant narcissiquement. Dès lors apparaît possible l’abord des conflits d’identification de l’adolescent dont on sait qu’ils sont à la source de la vulnérabilité dépressive qui prédispose à des rechutes et qui ne répond pas à la chimiothérapie anti-dépressive. En d’autres termes, il convient de créer les conditions d’un espace thérapeutique contenant une économie psychique en déséquilibre afin de permettre progressivement l’accès au sens. Ainsi, le cadre bifocal vise à participer aux conditions d’accessibilité à la psychothérapie.

 

 


CONCLUSION

 

Il y a marché de dupes dans l’établissement d’un contrat de soins si la visée normative prédomine = Maintien de la crainte d’une relation à l’inconnu par des rationalisations pseudoscientifiques : la maladie comme corps étranger.

Traitement médicamenteux univoque ou élaboration technique d’une fausse proximité avec le patient se contentant d’un apaisement symptomatique au détriment des nécessaires modifications profondes de la personnalité avec leur influence sur la vie relationnelle affective et sociale.

Imposture de l’immédiateté, de l’efficacité symptomatique sans travail d’élaboration (favorisant les rechutes et les aménagements économiques défensifs laissant évoluer à bas bruit la problématique avec risque gravatif).

Imposture de la vérification : (« une vérification qui va au-delà de sa fin….jusqu’à ce qu’elle ne sache plus ce qu’elle est et ce qu’elle signifie »).

Imposture de la transparence : (« à force d’informations qui ne laisse plus rien voir ») (Baudrillard).

 

 

Bibliographie

 

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14- LEVINAS E. : Entre nous. Essais sur le Penser à l’autre, Paris, Le Livre de poche,1984.

15- NIETZSCHE F. : Ecce Homo, Paris, UGE coll. 10-18, 1996.

16- ROUSSILLON R. : La métapsychologie des processus et la transitionnalité, Revue française de psychanalyse, 1995, LIX, 1375-1519.

17- TAYLOR G. (1990) : La pensée opératoire et le concept d’alexithymie, Revue française de psychanalyse 54, 3, 769-784.

18- WINNICOTT D. (1973) : Objets transitionnels et phénomènes transitionnels in Jeu et réalité, Trad C. Monod et J. B. Pontalis. Paris, Gallimard, 1975.

19- WINNICOTT D. (1989) : Lettres vives, Paris,  Gallimard, 1989.



[1] Praticien Hospitalier - Département de Psychiatrie de l’Adolescent et de l’Adulte Jeune - Service du Professeur Ph. JEAMMET -Institut Mutualiste Montsouris - 42, Boulevard Jourdan 75014 - PARIS.