Actes de la Cinquième Journée
MÉDECINE et SANTÉ de l'ADOLESCENT

 

 

 

ADOLESCENTS DIFFICILES: entre AUTORITÉS et SOINS

ENTRE AUTORITES et SOINS

 

C. BOURCIER[1]

 

Préambule

Pour illustrer mon propos, je m’appuierai tout au long de celui-ci sur l’histoire de Frédéric, ce jeune adolescent de 15 ans, pris en charge par nos institutions depuis de nombreuses années, confié à un Institut de Rééducation (I.R.) par l’autorité médicale de la Commission Départementale de l' Education Spéciale (C.D.E.S ) et suivi par un service de soins, dans le cadre d’une prise en charge à temps partagé.

 

Frédéric est issu d’une famille plusieurs fois recomposée. Il a assisté, tout petit à de nombreux actes de violence à l’encontre de sa mère par l’un de ses concubins et a, lui-même, été très fortement maltraité.

Surprotégé par une maman insécurisante, il a longtemps vécu dans un climat de grande angoisse, peu ou pas protégé par un père souvent absent, pour raisons professionnelles, mais de toute façon, inexistant.

C’est à l’école qu’il a manifesté cette angoisse profondément ancrée en lui par des comportements extrêmes, agressivité contre lui et contre les autres, colères, jets et bris d’objets, crises violentes, troubles très importants de la communication…

Rapidement suivi par un service de pédopsychiatrie, Frédéric a été confié quelques temps plus tard à un Institut de Réadaptation, pour assurer un quotidien qu’il ne pouvait plus partager en famille et sa scolarité qu’il ne pouvait poursuivre en milieu ordinaire.

 

 

L’éducatif et le Soin ou de la Défiance à la Confiance

 

Ces ados dont on a la charge, sont, par définition difficiles. Ils ont même été qualifiés "d’incasables". Ils ne relèvent pas uniquement du soin ; ils ne relèvent pas uniquement  de l’éducatif, mais de tous ces dispositifs à la fois.

Or, ce sont ceux dont on dit souvent  « Il n’est pas pour nous… Nous ne sommes pas équipés pour…Nous ne sommes pas compétents…Il sera mieux à... ».

Et comme au jeu de la patate chaude, ce sont ces ados qui transitent d’institution en institution, sans jamais pouvoir se fixer ni trouver le répondant  qui tienne et qui contienne.

Je pense à la situation d’un autre jeune confié à l’I.R par l’A.S.E, sans contact avec sa famille depuis de nombreux mois et qui avait connu à 14 ans, 5 ou 6 familles d’accueil. Il a commencé à aller mieux et à évoluer quand il a été sûr que notre engagement de l’accueillir jusqu’à ses 18 ans était bien réel et serait tenu.

 

Qui mieux que Michel Lemay, psychiatre et éducateur, a représenté une synthèse de ces fonctions. Il affirme que tout acte éducatif est en soi un acte thérapeutique. Non pas que l’éducateur va devenir soignant, ni que le soignant va prendre la place de l’éducateur mais les actes posés par chacun à leur niveau, chacun avec leur médiation qui sont propres à chaque fonction, n’ont qu’un seul objectif : soulager une souffrance et permettre à un adolescent d’aller mieux.

Alors arrêtons d’opposer des fonctions, de croire ou de faire semblant de croire qu’il « sera mieux ailleurs » et additionnons nos forces et optimisons nos moyens.

 

Pour ce qui concerne Frédéric, les choses n’ont pas été simples au début. Il a fallu du temps pour que la confiance prenne le pas sur la réserve et que la parole puisse prendre sens dans les différents lieux de prise en charge.

Outre un emploi du temps interrogé et réadapté en permanence, cette confiance a permis d’élaborer une parole collective unique qui fait lien, qui tienne et qui contienne, quels que soient les lieux où elle se dit et quels que soient les personnes qui la prononcent. Des restitutions de synthèse collectives à la famille, ou tout simplement des rencontres communes avec elle, des démarches communes près de l’école ont été autant de moyens simples pour mettre en œuvre cette parole collective.

 

 

Une Parole instituante

 

La question de l’autorité mise en débat aujourd’hui a toujours agité et continuera encore longtemps d’agiter les milieux éducatifs et soignants.

"Il a de l’autorité, Quelle autorité!", Des paroles souvent entendues, mais dont le sens m’échappe, à moins qu’il ne s’agisse de soumettre un individu à une volonté individuelle.

Si tel est le cas, je m’inscris en faux avec cette définition.

 

Il m’est en effet difficile de séparer la question de l’autorité de celle de la légitimation de l’action à conduire.  « Qu’est ce qui légitime mon action éducative ? Au nom de qui j’interviens ? ».

 

A l’I.R, outre la notification de la C.D.E.S sous l’autorité de la Direction des Affaires Sanitaires et Sociales. (D.A.S.S) et de l’ Education Nationale (E.N.) pour ce qui concerne l’aspect législatif, ce sont surtout les parents, les familles qui sont dépositaires de cette légitimation et qui nous délèguent momentanément une partie de leur autorité pour que nous puissions intervenir près de leur enfant.

En cas de défaillance familiale, c’est l’Aide sociale à l'Enfance (A.S.E) qui assure le relais et qui, comme peut l’être une famille, devient l’interlocuteur privilégié de l’institution. ( 4 situations sur 33 prises en charge à l’I.R l’an dernier.)

Un magistrat peut aussi être l’autorité qui légitime l’action éducative. Je n’ai pas rencontré cette situation ces dernières années.

 

Ces propos peuvent ressembler à un rappel très théorique. Prendre conscience de cette réalité est pourtant essentiel.

 

Revenons à Frédéric. Quelques semaines après son arrivée à l’I.R cet "encore petit garçon" ( 10 ans à l’époque ) a commencé à fuguer. Il voulait retrouver sa maman. Nous avons eu à gérer des situations de danger graves et répétées jusqu’au jour où, en le fixant droit dans les yeux, je lui ai dit ou peut être crié " Frédéric si tu es là, c’est parce que ton papa le veut  et que ta maman le veut aussi ".

Cette affirmation évidente aux yeux des adultes – mais qui ne l’était pas aux yeux de l’enfant - a tout changé.

Les fugues ont cessé et Frédéric a pu se mettre au travail. Certes, rien n’est devenu facile du jour au lendemain  ( les comportements de Frédéric restaient extrêmes ) mais nous avons pu commencer à accueillir et à traiter les passages à l’acte qu’il nous donnait à voir, ayant sans doute intégré pourquoi il était confié à une institution et accepté nos interventions.

Depuis cet épisode, j’ai toujours pris le temps de dire et d’affirmer avec toutes les personnes concernées, au nom de qui et pourquoi nous rentrions le temps d’une tranche de vie dans l’espace d’un jeune et de ses projets.

 

 

Une action instituée

 

Les prises en charge à temps partagé, comme c’est le cas de celle de Frédéric, sont assez récentes. Précédemment, chacun exerçait son action dans un champ de compétence aux contours souvent mal bordés mais bien protégés sans trop s’interroger à propos des différentes formes que pourraient prendre des actions communes.

 

Déjà, en 2001, B. Kouchner élaborait un plan gouvernemental de santé mentale, proposant une série de mesures visant à renforcer les actions partenariales auprès des professionnels de la santé.

Ce travail de partenariat qui autorise la parole collective unique dont je parlais tout à l’heure, implique que chacun accepte d’entrer dans un système (un dispositif ) qui se crée à partir de l’élaboration et de la mise en œuvre d’un projet. Ce projet est évolutif et son développement est lié à l’évolution du sujet et aux différentes formes d’actions possibles entre les différents partenaires. Il s’élabore en réunissant dans un même lieu la personne prise en charge, sa famille, les professionnels et ceci, en vue de faire émerger les questions qui se posent et de proposer des outils pour les travailler.

Cette parole collective unique exige une vision identique, des objectifs communs, de la confiance et de la transparence. Cela engage chacun des partenaires à respecter l’autre dans son identité professionnelle et à se mettre au service de ce dispositif d’aide et d’accompagnement près des jeunes en grande souffrance psychique, sans faire prévaloir sa propre spécificité.

 

Cette nouvelle forme de travail nécessite l’existence d’articulations entre les différents champs professionnels, la mise en commun des compétences de chacun mais aussi la distinction et le respect de leurs rôles.

 

Ce partenariat comprend les parents, le service de soins, l’établissement d’accueil  - en l’occurrence l’I.R -, l’école, les services de l’A.S.E ou du juge etc… Ce partenariat se construit en créant des liens entre les différents services par des moyens simples tels que synthèses, contacts téléphoniques ou rencontres, actions de formations ou de sensibilisation (comme aujourd’hui) où les rôles, les statuts, les fonctions et les attentes de chacun sont pris en compte. Ce dispositif ainsi mis en place mobilise les différentes ressources, assurent une prise en charge plus cohérente et favorise coordination et continuité de l’accompagnement des soins.

 

Ainsi dans un tel dispositif qui doit rester souple et évolutif, le sujet est placé au centre de l’action, il laisse la place à sa volonté de s’engager lui-même et avec l’aide des intervenants qui l’entourent  dans les actions qui lui sont proposés. Il est invité à exister en tant qu’acteur, est jugé capable de prendre des responsabilités, y compris sociales, pour passer progressivement de la dépendance (dépendance à sa maladie, à ses comportements inadaptés) à l’autonomie.

Ainsi positionnée, l’action de soins prend toute sa dimension, recentre les énergies autour du seul sujet et utilise l’ensemble des compétences dans une synergie dynamique et constructive. 

 

En guise de final tout provisoire

 

Frédéric après 5 ans de prise en charge à temps partagé a appris à contrôler son angoisse et voit ainsi s’atténuer ses troubles comportementaux.

Alors que l’école lui était intolérable, lui renvoyant sans doute une impossibilité d’entrer dans une relation normalisée avec autrui, il vient de rentrer lors de la dernière rentrée scolaire à temps presque complet en 5eme de S.E.G.P.A dans un collège.



[1] C. BOURCIER, Educateur Spécialisé - DESPA - Le Colombier - 49180 - St Barthélémy d'Anjou