Actes de la Cinquième Journée
MÉDECINE et SANTÉ de l'ADOLESCENT

 

 

 

ADOLESCENTS DIFFICILES: entre AUTORITÉS et SOINS

Adolescents difficiles :
ENTRE AUTORITES ET SOINS

 

D. ANDRE[1]

 

Du point de vue de la loi, "l'adolescent difficile" se présente, pour l'essentiel, à la justice de deux manières, selon deux procédures distinctes, tant dans leur origine que dans leur déroulement et encore plus dans leur sens ou leur finalité :

 

Ÿ Dans un cas, il va s'agir de protéger l'adolescent difficile en tant qu'enfant mineur "en danger" ("dans sa santé, sécurité ou moralité" précise la loi) ou en tant qu'enfant mineur dont "les conditions d'éducation sont gravement compromises".

C'est, en substance, l'énoncé de l'article 375 du Code Civil.

Nous sommes dans cette première hypothèse, dans le cadre d'une procédure civile, à visée de protection, plus exactement, pour reprendre les termes du Code Civil, à visée d'"assistance éducative".

 

Le Juge des Enfants va ordonner ici des mesures, dites d'"assistance éducative", lesquelles, qu'elles soient "de milieu ouvert" ou de "placement", vont s'adresser non seulement à l'adolescent lui-même mais aussi à sa famille, plus précisément à ses parents.

 

L'intervention judiciaire en assistance éducative appelle donc un travail éducatif non seulement avec l'adolescent mais aussi avec les parents de ce dernier, autour de leur autorité parentale, définie par la loi comme un ensemble de droits et de devoirs visant la protection, l'éducation et le développement de l'enfant.

 

Ÿ La deuxième hypothèse amenant l'adolescent difficile à la justice est l'hypothèse de l'infraction pénale commise par ce dernier : la saisine du judiciaire ne se fonde pas ici sur un signalement d'adolescent "en danger" qu'il convient de protéger, mais sur la commission, par l'adolescent, d'une infraction que le Procureur de la République entend voir sanctionner, au travers de poursuites judiciaires.

 

La finalité voulue ici par la loi - en l'espèce les dispositions de l'Ordonnance du 2 février 1945 - est à la fois répressive et éducative, les dernières réformes de l'Ordonnance de 1945 (en 1995 et 2002) accentuant notablement le caractère répressif d'un texte qui, jusque là, mêlait l'éducatif et le répressif, en donnant cependant la primauté au premier.

 

Au-delà des logiques différentes, que je n'ai fait ici que rappeler de manière sommaire et qui animent les deux principales procédures prévues par la loi en matière d'"adolescent difficile", il me semble aujourd'hui important de revenir sur ce qui - de manière peut-être plus fondamentale encore - peut réunir finalement ces deux "approches" édictées par la loi.

 

Le titre, si opportunément choisi pour cette journée "Adolescents difficiles : entre autorités (au pluriel) et soins (au pluriel)", a, sur ce point, rejoint et stimulé ma réflexion.

 

Dans le recours au judiciaire, (procédure civile d'assistance éducative ou procédure pénale pour un acte délictuel), c'est bien évidemment à une autorité, et pas n'importe laquelle, celle souvent du dernier recours, que la Collectivité en appelle.

 

La demande de plus en plus forte et souvent de plus en plus indistincte de "rappel à la loi", adressée au judiciaire - cette expression devenue un cliché du "rappel à la loi" méritant elle-même, à mon sens, une réflexion critique - vient en quelque sorte sommer le judiciaire de "faire acte d'autorité" de manière forte, décisive, rapide et visible là où précisément l'autorité des autres (parents, institutions scolaires et sociales) a été malmenée.

 

Le judiciaire peut se trouver ici réduit à une dimension "gendarmesque" ou de "toute puissance", prenant le pas sur celle de l'élaboration de la décision juste, construite dans le respect des droits de chacun, qui fait pourtant l'identité et la finalité du judiciaire.

 

Faire acte d'autorité ou encore tenter de la restaurer là où elle n'a pas pu se poser de manière structurante, voilà certes dans l'esprit des textes - qu'ils soient pénaux ou d'assistance éducative - une mission qui incombe à l'institution judiciaire face à l'adolescent difficile.

 

Mais faire acte d'autorité, nécessite du "soin" : je ne parle pas ici du soin médical, psychologique, psychiatrique dont certains adolescents difficiles peuvent avoir besoin, soin que le cadre judiciaire s'efforce parfois de soutenir, de garantir. J'évoque ici le "soin" que le judiciaire doit prendre lui-même face à l'adolescent difficile et à ses parents dans la conduite des procédures civiles ou pénales.

 

Ce "soin judiciaire", la loi le prévoit, en effet, à bien des égards.

 

Pour ne retenir que quelques aspects fondamentaux, je citerai ici :

 

Ÿ La nécessité pour toute décision judiciaire, qu'elle soit d'assistance éducative ou pénale, d'être précédée d'une audience permettant l'audition des intéressés - dans le cas qui nous intéresse l'adolescent et ses parents- l'échange, la discussion, le "débat contradictoire" avec ces derniers.

 

Ÿ Le principe fondamental en procédure judiciaire dit du "contradictoire" ou encore, dans le domaine strictement pénal, celui du respect des droits de la défense, veulent également que toute décision judiciaire ne puisse être fondée que sur des éléments du dossier connus de l'ensemble des parties à la procédure et pas seulement du Juge lui-même ou des intervenants éducatifs rédacteurs des rapports; il convient d'ajouter ici le respect des délais minimum de convocation, prévus par la loi, permettant aux parties un éventuel examen de leur dossier et une préparation de l'audience.

 

Ÿ L'obligation fondamentale faite par la loi au Juge des Enfants dans le domaine de l'assistance éducative de "toujours s'efforcer de recueillir l'adhésion de la famille aux mesures qu'il envisage".

Cette recherche d'adhésion anime l'audience d'assistance éducative et implique un entretien singulier entre le Juge, l'enfant (ici "l'adolescent difficile") et les parents, où l'écoute, l'empathie, la pédagogie ont autant leur place que l'énoncé ferme et clair, au terme de l'audience, de la décision prise.

 

Ÿ Enfin, comme dernière illustration des "soins procéduraux", je citerai l'obligation pour le Juge, en assistance éducative comme au pénal, d'expliquer sa décision aux parties, et également de motiver cette décision dans l'écrit que constitue le jugement, le jugement étant lui-même, non pas irrévocable, mais susceptible d'être contesté en appel par les parties, où encore dans le domaine de l'assistance éducative, révisé par le même Juge, en cas d'évolution de la situation avec les mêmes précautions procédurales que celles que je viens de rappeler.

 

Ces soins judiciaires, en particulier l'obligation de l'audience avant chaque décision, le débat contradictoire, la recherche d'adhésion, l'explication et la motivation de la décision, ne sont pas seulement des garanties procédurales mais des conditions - certes insuffisantes mais nécessaires - à la réussite des prises en charge éducatives pour les adolescents difficiles.

 

Or, ces soins judiciaires, essentiels peuvent se trouver plus ou moins menacés par le développement actuel des procédures d'urgence et des pratiques judiciaires d'urgence.

Je veux parler essentiellement ici des décisions de placement, prises en urgence, sans audition préalable par le Juge, de l'adolescent et de sa famille; ou encore des successions de prise en charge "en urgence" ou avec "accueil immédiat", pour un même "adolescent difficile", prises en charge mises tout à tour en échec par l'adolescent sans que le sens de ces mesures d'assistance éducative, leur valeur, la part d'engagement qu'elles nécessitent, n'aient été suffisamment développées, pesées, intégrées lors d'une audience conduite par un Juge.

 

L'expérience montre souvent que la mesure de placement prise dans de telles conditions se trouve d'emblée fragilisée, et tourne d'ailleurs rapidement à l'échec, ce qui n'empêche pas parfois de voir une autre prise en charge emboîter le pas de la première, au nom de l'"urgence" ou de la "protection immédiate" de l'adolescent, sans que le sens de cette mesure n'ait été mieux posé et assimilé que lors de la première fois.

 

Le placement immédiat ou en urgence peut pourtant donner l'illusion d'une réponse d'autorité visible, sécurisante alors qu'elle n'est souvent satisfaisante que pour le très court terme et vouée à l'échec, si elle ne prend pas sens et valeur pour l'adolescent difficile.

 

Il est souvent plus efficace à long terme et finalement moins "risqué", tant du point de vue de la protection de l'adolescent lui-même, que de celui de la collectivité de savoir différer une prise en charge, ne serait-ce parfois que de quelques jours, le temps que l'audience ait lieu et parfois même de savoir renoncer à la mise en place d'une prise en charge éducative manifestement trop en décalage avec l'état d'esprit, les capacités de l'adolescent à se saisir de la prise en charge proposée.

 

Il est parfois nécessaire et finalement moins "risqué", tant du point de vue de la protection de l'adolescent que celui de la collectivité, de savoir mettre un terme à une succession, "escalade" de prises en charge, non investies par l'adolescent et qui le "protège" bien mal, ne serait-ce que parce qu'elle le laisse parfois, ainsi que ses parents, dans l'illusion peu responsabilisante que ses passages à l'acte appelleront, comme en miroir ou en écho, des prises en charge toujours nouvelles…

 

J'évoquerai pour finir le deuxième écueil qui menace actuellement, à mon sens, la qualité de la réponse judiciaire face à l'adolescent difficile - Il n'est d'ailleurs pas sans lien avec celui constitué par le développement des procédures d'urgence. Ce deuxième écueil est celui de la confusion ou l'indifférenciation des places et des rôles dans l'institution judiciaire face à l'adolescent difficile ou encore l'adolescent qui "passe à l'acte".

 

Avec le développement, au niveau des Parquets, des procédures dites "alternatives aux poursuites judiciaires", consistant en ce qui concerne les mineurs, en particulier les adolescents difficiles, en un "rappel à la loi" par un Délégué du Procureur, dont le champ d'intervention peut parfois être conçu de manière relativement large, le risque est de voir se confondre non seulement dans l'esprit des adolescents, mais aussi de leur famille, voire des intervenants sociaux eux-mêmes, le Délégué du Procureur et le Juge, alors que le rôle de ces deux derniers, le sens et la portée de leurs interventions respectives, les contraintes procédurales auxquelles ils sont soumis, et la nature des mesures qu'ils peuvent prononcer, sont bien différentes.

 

L'indifférenciation et la confusion de ces interventions judiciaires de nature différente, surtout lorsque celles-ci sont peu concertées et débouchent elles-mêmes sur des interventions éducatives, sociales, associatives ou de soins psychologiques multiples, peuvent finalement conduire à une inefficacité, tant du point de vue de la protection de l'adolescent que du point de vue social de la prévention de la délinquance ou de la récidive et à une banalisation du judiciaire.

 

Pour conclure, je dirai que face à l'adolescent difficile, sur le plan du processus judiciaire, le tout n'est pas d'actionner et d'additionner des prises en charge plus ou moins contenantes ou immédiates, ni non plus de systématiser des procédures rapides de "rappel à la loi", mais de prendre soin, dans l'acte judiciaire lui-même de transmettre de façon structurante à l'adolescent difficile, au travers des différentes décisions qui seront prises à son égard, quelque chose de la loi, qu'il puisse lui-même assimiler à la fois comme limite et protection.



[1] Juge pour enfant - Tribunal d'Instance - Palais de Justice d'Angers.